Les petits émissaires du sang-dragon
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (3 mai 2017)
Vers la mi-avril, dans les clairières et sur le bord des sentiers forestiers ensoleillés, de petites pousses en forme d’ogives percent le tapis de feuilles et d’herbes sèches. Lentement, chacune d’entre elles se déploie comme un poing entrouvert sur un trésor caché. La feuille robuste et lobée qui enveloppe une fleur fragile et immaculée ressemble à deux mains jointes en offrande vers le ciel.
C’est la Sanguinaire du Canada, appelée plus communément sang-dragon. La plante tire son nom du latex rouge contenu dans sa racine et qui saigne de la feuille lorsque celle-ci est déchirée. Les Amérindiens en tiraient une teinture pour le corps et les vêtements. La sanguinaire appartient à la famille des papavéracées, qui comprend aussi le pavot dont est tiré l’opium. Comme la plupart des membres de cette famille, elle contient des substances puissamment toxiques, possiblement mortelles à dose élevée.
La fleur ne s’ouvre que par temps ensoleillé, à peine trois ou quatre heures par jour, et sa floraison dure moins d’une semaine. Les premiers jours, les pétales et les étamines sont étalés à l’horizontale pour attirer les pollinisateurs. Mais dès le troisième jour, les étamines restent dressées, puis se recourbent vers le pistil, afin d’assurer l’autopollinisation. Cette double stratégie compense la floraison éphémère et optimise les chances de fécondation.
La dispersion des graines se fait de façon très particulière. Celles-ci produisent une excroissance charnue, appelée « élaïosome ». Très riches en protéines et en lipides, ces petites protubérances sont très prisées des fourmis, qui en gavent leurs larves. Les graines tombées près de la plante sont transportées dans la fourmilière, dépouillées des élaïosomes, puis rejetées dans la zone de déchets, qui comprend aussi des excréments et des cadavres d’insectes. Ce microdépotoir offre un terreau fertile pour la germination des graines. Sans compter qu’elles ont été sauvées du même coup de la prédation par les oiseaux ou les petits rongeurs.
Les élaïosomes ont pour seule utilité de susciter la dispersion des graines par les fourmis, ces petits émissaires qui assurent la propagation de la plante, en même temps qu’ils en tirent une manne précieuse pour leur progéniture. Un véritable partenariat gagnant-gagnant !
Vers la mi-avril, sur le bord des sentiers forestiers ensoleillés, de petites pousses en forme d’ogives percent le tapis de feuilles et d’herbes sèches. – PHOTO MICHEL AUBÉ
La feuille robuste et lobée qui enveloppe la fleur immaculée ressemble à deux mains jointes en offrande vers le ciel. – PHOTO MICHEL AUBÉ
Les premiers jours, les pétales sont étalés à l’horizontale pour attirer les pollinisateurs. – PHOTO MICHEL AUBÉ