La pouponnière du fossoyeur

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (7 juillet 2021)

Au tournant du sentier, le nez se plisse et le visage se révulse. Une odeur de mort imprègne les alentours. De fait, un petit mammifère git sur le sol dénudé. L’identification est incertaine, car les effluves n’invitent pas à une exploration méticuleuse. Soudain, ô surprise! le cadavre s’agite et remue… Puis la carcasse s’enfouit, petit à petit, de plus en plus profondément dans le sol, comme en un sable mouvant. Après quelques minutes, deux petits coléoptères, en cape noire barrée d’orange, émergent de sous le corps qu’ils parcourent et examinent en tous sens, avant de retourner à leur travail de fossoyeurs.

Ce sont des Nicrophorus tomentosus (du grec: necros = cadavre, phorein = porter; et du latin: tomentosus = duveteux). Le nom de l’espèce provient de la fine toison dorée qui recouvre le haut du thorax. Ils font partie des coléoptères fossoyeurs (en anglais: burying beetles) qui se nourrissent de carcasses, et en tirent la ressource alimentaire qu’ils prépareront pour leur progéniture. Les antennes de l’insecte ont la forme de petits clubs de golf, dont l’extrémité crénelée et aplatie contient des chémorécepteurs ultrasensibles.

Dès que le mâle a repéré une carcasse à l’odeur, il secrète une phéromone qui attire la femelle. Les deux partenaires, couchés sur le dos sous le cadavre, le déplacent au-dessus d’eux par l’action conjuguée de leur pattes. Au lieu d’enfouissement, ils creusent sous le corps en déplaçant la terre sur les côtés, puis en la rabattant sur le dessus. Ils le dépouillent ensuite de ses poils et en forment une boule compacte qu’ils recouvrent entièrement d’un mucus antibactérien et antifungique. En plus de ralentir la décomposition, cette opération élimine les odeurs de putréfaction qui pourraient attirer d’autres charognards.

L’enfouissement prend environ sept heures et la préparation du corps en réserve alimentaire prend huit jours. Les partenaires s’accouplent aussitôt la tâche terminée, et la femelle pond ses œufs à proximité de la dépouille. L’éclosion se fait au bout de quatre jours, et les larves sont attirées vers le corps par de petites stridulations émises par les parents. Ceux-ci nourrissent les larves de bouche à bouche (comme chez les oiseaux!), jusqu’à trois fois l’heure. Ils préparent de petites boulettes de chair tirée de la carcasse, dans lesquelles ils incluent des bactéries tirées de leur propre microbiome. Ils «jardinent» en quelque sorte leur communauté bactérienne en y sélectionnant les microbes les plus favorables au développement de leur progéniture!

Le nom de l’espèce, tomentosus, provient de la fine toison dorée qui recouvre le haut du thorax. – PHOTO JEAN BRODEUR

Le cycle de reproduction, sur terre et sous terre, des espèces de Nicrophorus. – WIKIMEDIA COMMONS