L’échappée des jardins, la presque mélancolie

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

Elle semble timide au travers des plantes de la rive, tête baissée, telle une attitude de honte ou de recueillement. Mais c’est peine perdue, tant l’architecture insolite et spectaculaire de la fleur force l’attention. La structure principale est faite de cinq pétales d’un violet intense, en forme de cornets recourbés et terminés par un éperon. Entre chacun, un sépale de même couleur enrichit le volume de l’ensemble. C’est l’Ancolie vulgaire. Son nom serait dérivé du vieux latin aquila (= aigle), en raison des extrémités évoquant les serres du rapace.

Appelée aussi Ancolie des jardins, c’est une espèce originaire d’Europe, introduite et cultivée à des fins décoratives. Mais par ses graines vagabondes et buissonnières, elle a fait peu à peu sa place dans la flore québécoise, çà et là, dans les champs et les prés, au bord des routes ou des cours d’eau. La forme remarquable de ses fleurs a amené les horticulteurs à en tirer plusieurs variétés («cultivars»), aux coloris toujours plus variés, du blanc au noir, en passant par diverses nuances : orange, rouge, lilas, indigo, pourpre… L’une d’elle, la Black Barlow est toute noire.

Chez les anciens, l’Ancolie des jardins était déjà associée à la tristesse et à la solitude, notamment en raison de sa posture, toute en modestie et en humilité. Mais cette nouvelle hybride sombre pourrait carrément porter le nom de «mélancolie» (du grec melas = noir), l’ancolie noire. Il y a toutefois une autre raison d’y associer cette image de deuil. Autrefois utilisée comme plante médicinale, l’ancolie fait désormais l’objet de sérieux avertissements, car toutes les parties de la plante présentent une très forte toxicité. Ce péril est dû au fait qu’elle contient de l’acide cyanhydrique (ou cyanure d’hydrogène), autrefois appelé acide prussique.

L’architecture insolite de l’ancolie force l’attention. La structure principale est faite de cinq pétales, en forme de cornets recourbés et terminés par un éperon. – WIKIMEDIA COMMONS

Cette molécule provoque une diminution de la charge en oxygène dans le sang, affectant du même coup l’oxygénation des cellules. Cette réduction radicale cause de sérieuses lésions, notamment dans les tissus du cœur et du cerveau, et entraine la mort à court terme. L’administration de cyanure d’hydrogène est utilisée dans certains états américains comme procédé d’exécution pour la peine de mort. Ce fut par ailleurs le composant principal du Zyklon B, le gaz utilisé par le régime Nazi pour l’extermination d’au moins un million de Juifs, de février 1942 à novembre 1944, au camp de mort d’Auschwitz… Lourde, lourde mélancolie !