L’ange trompe-la-mort, égaré du Groenland
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (30 avril 2019)
À la mi-avril, des milliers de bernaches se regroupent et piaillent sur les dernières berges glacées du Lac Boivin. Mais parfois, au milieu du troupeau, l’une d’elle se démarque singulièrement. Un peu plus petite que les autres, elle a un dos grisâtre rayé de noir. Ses flancs sont pâles, couleur perle, et sa poitrine est noire alors qu’elle est blanche chez la Bernache du Canada. Sa tête est plus ronde et son bec plus court. Son cou est aussi plus trapu, moins élancé, le blanc sur la joue est étendu à toute la face, sauf une ligne sombre, du bec à l’œil, qui lui fait comme des lunettes. Décidément, en dépit d’une ressemblance au premier coup d’œil, il s’agit d’une espèce différente!
C’est la Bernache nonnette, du même genre que la Bernache du Canada, mais beaucoup plus rare. En avril 2019, elle était observée pour la deuxième fois seulement au Lac Boivin. Sa population peut dépasser les 800 000 individus dans son habitat habituel, de la côte est du Groenland jusqu’aux îles arctiques au nord des pays scandinaves. Mais au Québec, seulement quelques spécimens s’égarent, au printemps ou à l’automne, au bord du fleuve ou le long du Richelieu. Isolée au milieu des autres bernaches, l’espèce reste le plus souvent inaperçue.
Le couple est monogame, généralement pour la vie, mais le mâle refait sa parade nuptiale à chaque printemps, histoire de resserrer les liens entre les partenaires. La femelle pond de quatre à cinq œufs, qui sont couvés environ trois semaines. Les jours suivant l’éclosion sont toutefois extrêmement périlleux. Pour éviter la prédation par les mammifères terrestres, en particulier le Renard arctique, le couple a établi son nid sur de hautes falaises escarpées, à plus d’une centaine de mètres du sol.
Parfois, au milieu des Bernaches du Canada, l’une d’elle se démarque. Plus petite, elle a un dos gris pâle rayé de noir. Sa tête est plus ronde et son bec plus court. Sa poitrine est noire plutôt que blanche. Le blanc sur la joue est étendu à toute la face, et une ligne sombre, du bec à l’œil, lui fait comme des lunettes. – WIKIMEDIA COMMONS
Mais les petits ne sauront pas voler avant une cinquantaine de jours, et leur nourriture, qui provient des pâturages herbeux ou des algues marines échouées sur la berge, ne se trouve qu’au niveau de la mer. À deux ou trois jours de leur naissance, les parents s’envolent vers le rivage d’où ils appellent les petits. Après quelques hésitations, ceux-ci doivent se décider à plonger dans un abîme de plus d’une centaine de mètres. Quelques-uns iront fatalement se fracasser sur les parois. Le plus souvent, toutefois, leur corps léger et matelassé de duvet rebondira contre la falaise, avant d’atterrir auprès des parents, un peu sonné… mais indemne. La stratégie est sans doute efficace, car la population est actuellement en croissance!