Le cristal maléfique de la Belle des marais
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (25 juin 2019)
Le long de la promenade du marécage, au CINLB, de petits massifs de plantes vertes émergent çà et là de l’eau peu profonde. Quelques fleurs d’une blancheur immaculée percent la verdure, telles de petites capes entourant chacune un épi vert pâle semé d’ivoire. Les feuilles légèrement lustrées ont la forme parfaite de cœurs qui se presseraient auprès de leur dame avec adoration.
Les botanistes appellent «spathe» cette pièce florale qui se déploie ainsi comme un seul gros pétale autour d’un épi. Celui-ci, appelé «spadice», se présente comme un axe charnu où sont attachées une quarantaine de petites fleurs. Chacune est composée d’un ovaire, de couleur jade et de la taille d’un grain de poivre. Cette partie femelle est entouré d’une dizaine d’étamines, les composantes mâles, qui dessinent une couronne d’ivoire à sa base. Sur le dessus de l’épi cependant, les fleurs sont uniquement mâles, n’étant formées que d’étamines.
C’est le Calla des marais, du grec «kallos», qui signifie «beauté». Cette architecture florale (spathe et spadice) est caractéristique de la famille des Araceae, à laquelle appartiennent aussi l’Arisème petit-prêcheur et le Symplocarpe chou-puant. Plusieurs plantes de cette famille, aux couleurs variables, sont recherchées chez les fleuristes, justement pour la grâce et la pureté de leurs lignes. Cette plante boréale affectionne les milieux acides des tourbières et des marécages. Au Canada, elle n’est absente qu’au sud des prairies et dans l’extrême nord du pays. Aux États-Unis, on ne la retrouve qu’en Nouvelle-Angleterre, dans la région des Grands lacs et en Alaska.
À la fin de l’été, les fleurs regroupées autour de l’épi produisent une grappe de fruits fort attrayante, d’un rouge intense contrastant sur le vert du feuillage. Mais attention, dans la nature, cette couleur vive est souvent signal de danger! Non seulement les fruits, mais également toutes les parties de la plante – fleurs, feuilles, tiges et rhizomes – contiennent des cristaux d’oxalate de calcium. Chez les Araceae, ces cristaux prennent la forme de microscopiques aiguilles acérées appelées «raphides». Leur mastication entraine une vive brûlure du système digestif, des lèvres à la gorge et jusqu’à l’estomac. Les toxicologues estiment que l’ingestion d’une dose comparable à une quinzaine de fruits pourrait causer des hémorragies intestinales, de violentes diarrhées, et provoquer éventuellement un coma… sinon la mort !
Les fleurs immaculées du Calla des marais ressemblent à de petites capes entourant chacune un épi vert pâle semé d’ivoire. Les feuilles ont la forme parfaite de cœurs pressées auprès de leur dame avec adoration. – WIKIMEDIA COMMONS
Les fruits, d’un rouge intense, signalent un danger. Toutes les parties de la plante contiennent des cristaux d’oxalate de calcium extêmement dommageables à l’ingestion. – WIKIMEDIA COMMONS