Une petite coupe au goût d’abricot finement poivré
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (31 août 2022)
L’observateur d’oiseau s’est levé tôt en cette fin d’août. Sa progression à bicyclette est silencieuse dans l’air frais du matin. Ce sont les dernières semaines pour observer les parulines au CINLB où une bonne douzaine d’espèces sont encore visibles à se gaver d’insectes avant le départ migratoire. Mais un soufflement brusque issu de la sapinière arrête le cycliste en pleine course. Un autre «Pffffuuuh» retentit derrière les conifères. Ça, ce n’est pas un cri d’oiseau! L’ornithologue avance à pas feutrés vers la bordure du sous-bois, juste à temps pour apercevoir deux faons qui l’observent, puis détalent, alertés par les sifflements de leur mère.
La litière d’aiguilles et de mousse foisonne de petits champignons jaune safran, on dirait des pépites dorées disséminées sur le sol. Certains, surtout les plus gros, portent encore la marque du broutage des Cerfs de Virginie qui en raffolent, semble-t-il, tout autant que les humains. Ce sont des Chanterelles communes, longtemps confondues avec la chanterelle d’Europe et d’Asie, Cantharellarus cibarius, mais qui ont été identifiées génétiquement comme une nouvelle espèce en 2017, par des chercheurs de Terre-Neuve-et-Labrador. Ils la baptiseront Cantharellus enelensis.

La litière d’aiguilles et de mousse foisonne de petits champignons jaune safran telles des pépites dorées disséminées sur le sol. – PHOTO MICHEL AUBÉ

La couleur orangée et la forme d’un calice à la marge ondulée sont typiques de la Chanterelle commune, de même que les plis profonds sous le chapeau jusqu’à la mi-hauteur du pied robuste. – PHOTO RÉJEAN PERREAULT
Le nom du genre provient du grec kantharos (= coupe à boire) combiné au diminutif latin -ellus. Le nom de l’espèce utilise phonétiquement les initiales de Newfoundland-Labrador (en + el, pour NL), complétées du suffixe -ensis comme marqueur de lieu. Mais les chercheurs ont pu vérifier que l’espèce n’est pas confinée à cette province et qu’elle est répandue dans tout l’est de l’Amérique du Nord. Il existe d’autres espèces de chanterelles au Québec, mais enelensis est de loin la plus commune. On la trouve dans les boisés de conifères, en relation mycorhizienne avec le Sapin baumier, l’Épinette blanche ou le Pin gris.
Les chapeaux des plus jeunes spécimens ont leur marge recourbée vers le sol, mais en murissant celle-ci se retourne vers le ciel et donne effectivement au champignon la forme d’une petite coupe. La couleur orangée est typique, de même que les plis profonds sous le chapeau débutant à la mi-hauteur du pied robuste. L’odeur est forte et fruitée, et la saveur rappelle l’abricot ou la mirabelle. Le champignon a également un fin goût de poivre, si bien que l’on ne suggère pas d’en rajouter lors de la cuisson. Les chanterelles sont parmi les champignons les plus facilement reconnus à travers le monde… et aussi parmi les plus appréciés des gastronomes. Sautés au beurre à l’échalote… quel régal!