Au service des musées… et des tribunaux!
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (14 avril 2021)
Dès ses premiers jours, le printemps s’est déployé en force, à des températures avoisinant les vingt degrés. Les plantules du sous-bois ont redressé la tête et, sous les feuilles, quelques insectes ont esquissé leurs premiers battements d’ailes. Mais l’hiver a lâché un dernier râle, et dix centimètres de neige ont calmé cette effervescence. Aux fenêtres du CINLB, un petit insecte noirâtre a flairé la chaleur et il y cogne avec ferveur, comme s’il demandait à entrer. Long d’environ huit millimètres, il arbore un dos noir vaguement barré d’une bande pâle. À la loupe, la moitié avant de l’abdomen apparait de couleur chamois, couverte d’un poil fin et dotée sur chaque élytre de trois points en triangle. La frontière entre cette bande colorée et la moitié arrière sombre est légèrement crénelée. Les antennes courtes et rougeâtres sont ouvertes en angle et terminées d’une masse en forme de fougère.
C’est le Dermestes lardarius (du latin derma = peau et estere = consommer; et de l’anglais larder = garde-manger). Cet insecte qui entrait au printemps dans les maisons était autrefois considéré comme une véritable peste. Il adorait le jambon et le bacon, et se contentait sinon de poils, de plumes… ou de petits rongeurs morts, coincés entre les cloisons. C’était la terreur des taxidermistes, des tanneurs de cuir et des traiteurs de viandes froides. Mais comme avec le feu, les humains se sont ingéniés à tirer avantage des obstacles qui les accablent. L’appétit de cet insecte est désormais mis à profit dans tous les grands musées de sciences naturelles. Il est en effet ardu de nettoyer convenablement, sans les abimer, les squelettes fragiles d’oiseaux ou de rongeurs en exposition, une tâche qu’une colonie de dermestres peut accomplir impeccablement en quelques heures. À la condition toutefois d’isoler hermétiquement la petite meute des animaux naturalisés… tous succulents en cuir, en poils et en plumes!
La moitié avant de l’abdomen apparait de couleur chamois, couverte d’un poil fin et dotée sur chaque élytre de trois points en triangle. Les antennes courtes et rougeâtres sont ouvertes en angle et terminées d’une masse en forme de fougère. – WIKIMEDIA COMMONS
L’entomologie médico-légale fait un autre usage de ces bestioles… en tant que véritables pièces à convictions! Les enquêtes pour meurtre requièrent d’établir précisément la date et l’heure du décès, confrontées ensuite à l’emploi du temps des suspects. Les policiers exploitent les différentes populations d’insectes qui s’attaquent aux cadavres à divers moments de leur détérioration, de quelques heures à quelques mois, selon leur éthologie et leur métabolisme propres. Huit «escouades» ont été ainsi associées à des espèces précises. Dermestes lardarius fait partie de la troisième escouade, présente entre le troisième et le neuvième mois!