La petite luciole qui a perdu sa lanterne
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (30 mars 2022)
Derrière le kiosque du CINLB, le soleil plombe le mur sud, protégé du vent, et la température approche les dix degrés. Un petit point mobile attire l’attention sur la paroi ensoleillée: un Coléoptère brunâtre, long d’une douzaine de millimètres. Son corps aplati a la forme d’un ovale allongé. Une plaque semi-circulaire, le protonotum, recouvre le thorax et la tête. Deux arcs colorés – orange, jaune et rose – encadrent le centre bombé. On dirait une luciole, ce qui apparaît surprenant à cette saison et en plein jour!
Or c’est bien le cas. Mais contrairement à la plupart des lucioles, cette espèce, Ellychnia corrusca, ne produit pas de lumière, et son mode de vie est totalement diurne! Les anglophones l’appellent winter firefly, la luciole d’hiver, car aux États-Unis, elle est souvent visible à cette saison. Au Québec, c’est l’un des premiers insectes à s’animer au printemps, dès la fin mars. Les adultes passent les mois les plus froids dans les craquelures des troncs d’érables, dont ils sortent dès que la température s’adoucit
Deux ailes dures et cornés, les élites, recouvrent les ailes inférieures de ce coléoptère, à la manière d’un étui. – WIKIMEDIA COMMONS
Le corps de cette luciole a la forme d’un ovale allongé. Le protonotum, une plaque semi-circulaire qui recouvre la tête et le thorax, est traversé de deux arcs colorés. – WIKIMEDIA COMMONS
L’accouplement a lieu en avril, après quoi la femelle effectue sa ponte et meurt. Les œufs écloront deux semaines plus tard, et les larves se nourriront de petits insectes. Après quelques mues, elles s’attaqueront à des proies plus grosses, tels des vers, des limaces ou des escargots. Parfois appelées «vers luisants», ces larves sont luminescentes, contrai-rement aux adultes qui en perdront la capacité après leur dernière mue, au début de l’automne. Ceux-ci se nourriront alors du sucre des fleurs ou de la sève des arbres, pour recommencer le cycle de reproduction au début du printemps.
En 2017, des chercheurs américains ont proposé que ces particularités – diurne, non luminescente et hivernale – constituaient une adaptation résultant de la sélection naturelle. Cet insecte secrète un produit répulsif, la «lucibufagine», qui suinte de son corps lorsqu’il est perturbé et qui la protège de prédateurs comme les oiseaux ou les araignées. Mais dans le même habitat, une autre luciole, Photuris pensylvanica, n’a pas cette protection naturellement et doit se la procurer… en dévorant les espèces qui en produisent! Or Photuris pensylvanica est nocturne, et sa vie adulte s’étend de la mi-juin à la fin août, alors qu’Ellychnia corrusca est diurne, et que sa vie adulte s’écoule de la mi-septembre à la fin mai.