Danseuse, grimpeuse et déesse de la discorde

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

Parmi les araignées, la famille des Salticidae présente la plus grande variété, regroupant environ 13% des 47 000 espèces connues au monde. Au Québec, cette famille est proportionnellement moins étendue, ne comprenant que 6,5% des espèces identifiées. Celles-ci sont reconnues aisément à leurs corps trapus et, surtout, aux deux énormes yeux qui occupent la face antérieure de leur céphalothorax.

Ces yeux leur procurent une perception visuelle des plus complexes parmi les arthropodes, permettant une reconnaissance fine des couleurs, une haute résolution jusqu’à plusieurs mètres, la détection des mouvements et une vision tridimensionnelle précise. Certains chercheurs croient que ces araignées peuvent percevoir des objets aussi éloignés que la Lune!

Cette famille regroupe aussi les espèces les plus colorées, une particularité jouant un rôle important dans les chorégraphies sexuelles élaborées où elles exhibent leurs atours. La caractéristique ayant donné le nom à la famille est qu’elles peuvent effectuer des bonds de plusieurs centimètres pour se déplacer, attraper leurs proies ou éviter un prédateur.

Eris militaris est fort abondante au CINLB, particulièrement dans les milieux ouverts et ensoleillés. Cette espèce affectionne notamment les buissons de ronces où on peut la trouver de mai à octobre. C’est la seule espèce du genre Eris au Québec. Ce nom renvoie à la déesse de la mythologie grecque qui avait offert en présent de mariage la pomme de la discorde, laquelle aurait entraîné la guerre de Troie. Les raisons de cette attribution ne sont pas très claires, sauf peut-être que les comportements d’accouplement des partenaires ressemblent souvent à une joute laborieuse entre lutteurs Sumo!

Cette espèce d’araignée enregistre une mémoire détaillée de son environnement, et sa trajectoire vers une cible éloignée est souvent ponctuée d’arrêts où elle semble se repérer par rapport à des indices visuels. Lorsqu’elle rencontre un obstacle, elle tisse un faisceau de fils légers qu’elle guide comme des cerfs-volants dans les courants d’air ascendants, pour atteindre un appui et dresser une passerelle où elle grimpe aussitôt. Chaque fois qu’elle s’apprête à bondir, elle dépose d’abord au sol un disque de soie adhésive d’où elle tirera un «fil de rappel», au cas où elle manquerait sa cible.

Leurs énormes yeux procurent aux Saltiicidae une vision tridimensionnelle, assortie d’une perception des couleurs qui joue un rôle important dans les chorégraphies sexuelles. – WIKIMEDIA COMMONS

Le mâle est reconnaissable à son corps brun foncé barré de chaque côté de longues bandes jaune pâle. – WIKIMEDIA COMMONS