Ressort et antigel… sur cristal de neige
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (31 mars 2021)
Le souffle chaud du printemps balaie la surface du lac, éloignant peu à peu les glaces de la berge. Près de la rive, de minuscules soubresauts perturbent par à-coups la surface de l’eau claire, provoquant d’infimes ridules, aussitôt évanouies. Un flacon de médicaments passé vivement dans l’onde permet de recueillir quelques-uns de ces microscopiques agitateurs. C’est la danse sautillante d’un ralliement de «puces des neiges», activées par le réchauffement.
En fait, ce ne sont pas des puces, ni vraiment des insectes, même si ces bestioles ont bien six pattes. Longues d’un à deux millimètres, de couleur bleu indigo, elles font partie de la classe des Collemboles, des arthropodes apparus il y a quelque 400 millions d’années, et figurant possiblement parmi les ancêtres des insectes. Leur nom scientifique est Hypogastrura nivicola (du grec: hypo = en dessous; gastros = ventre; oura = queue; nivicola = vivant dans la neige). Le nom du genre renvoie au fait qu’ils ont une espèce de queue fourchue, la «furcula», repliée en tension sous l’abdomen. Lorsque celle-ci est relâchée, l’animal peut faire des bonds de 50 à 100 fois sa longueur! D’où son association avec les puces…
Cette espèce vit dans la litière où elle joue un rôle majeur dans le recyclage des nutriments organiques en ingurgitant les végétaux en décomposition et une multitude de microorganismes (algues, bactéries, champignons). Cette intense activité assure également le transport des spores des mousses et des champignons, favorisant leur reproduction et leur dissémination, et stimulant la mycorhization. À la fonte des neiges, l’animal monte vers la surface blanche saupoudrée de déchets organiques, où ses émissions de phéromones occasionnent parfois des rassemblements de milliers d’individus.
Hypogastrura nivicola n’est pas un insecte, même si elle a bien six pattes. Elle fait partie des Collemboles, des arthropodes apparus il y a 400 millions d’années, et figurant possiblement parmi les ancêtres des insectes. – PHOTO TOM MURRAY
L’organisme résiste aisément à la congélation par la production de protéines antigel riches en glycines. Même après un séjour d’une quinzaine d’heures au congélateur, la simple présence d’un rayon de soleil suffit à réactiver les sauteries. Certains chercheurs pensent pouvoir utiliser ces propriétés antigel pour favoriser la préservation d’organes destinés à la transplantation, la conservation d’aliments surgelés, ou même la production de crèmes glacées plus onctueuses parce que moins cristallisées.
Le mode de fécondation d’Hypogastrura nivicola est externe. Le mâle dépose sur le sol un petit sac de sperme, le spermatophore, que la femelle recueille et intègre à sa spermathèque, pour une fécondation différée. Les petits émergent des œufs complètements formés, tels des adultes miniatures, contrairement aux insectes qui atteignent la maturité après plusieurs stades larvaires.