Les délices de la Belle du printemps

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

Fin avril, alors que la Nature semble bailler sous les premiers jours doux, une Belle aux bois dormant s’éveille sous les rayons enjôleurs du soleil et perce l’humus recouvert de feuilles racornies. Les anglophones l’appellent Spring Beauty, la Belle du printemps. C’est la Claytonie de Caroline, une petite plante dont les jolies fleurs blanches, veinées de magenta, charment irrésistiblement les promeneurs.

Le plant atteint une vingtaine de centimètres en hauteur, au bout duquel éclosent de trois à cinq fleurs en grappe, comportant chacune cinq pétales, blancs ou rose pâle. Selon les botanistes, les lignes rose foncé qui les traversent de l’extrémité vers le cœur jaunâtre tracent pour les pollinisateurs un «trajet de bienvenue» vers le nectar. Les filaments des cinq étamines accentuent cet effet, en réfléchissant les rayons UV perçus par ces insectes, surtout des hyménoptères (abeilles, guêpes, bourdons), mais aussi quelques syrphes. Deux feuilles ovales, légèrement charnues, sont disposées en opposition sur chaque tige. Les bouquets de claytonies constituent de véritables jardins de délices. Elles sont particulièrement généreuses en nectar, au bénéfice des pollinisateurs dont elles séduisent plus d’une vingtaine d’espèces. Les petits rongeurs tels le Tamia rayé et la Souris à pattes blanches raffolent par ailleurs de son bulbe, au léger goût de noisette. Les autochtones l’appréciaient également, cru ou bouilli, telle une pomme de terre grelot, et les jeunes feuilles étaient consommées en salade.

Cette plante éphémère profite de l’ensoleillement des sous-bois avant que ne se développe la canopée. La fleur se referme le soir et les jours ennuagés. Lorsque la fleur fécondée fait son fruit, elle se penche progressivement vers le sol.  Une fois la capsule bien mure, le plant se redresse brusquement, et le fruit éclate, projetant les graines jusqu’à soixante centimètres de distance. 

– PHOTO MICHEL AUBÉ

Ce mécanisme de propagation est lui-même amplifié par le concours de petites alliées. Les graines portent une excroissance charnue, riche en lipides et en protéines, appelée «élaïosome», qui fait le délice des fourmis. Celles-ci transportent les graines dans leur fourmilière, où elles détachent ces protubérances pour en gaver leurs larves. On ne connaît pas d’autre utilité aux élaïosomes que de favoriser la dispersion des graines avec le concours des insectes.

Avec le développement de la canopée, fleurs et feuilles jaunissent puis se décomposent sur le sol. Après six semaines seulement, il n’y a plus de trace visible de la Belle du printemps… sauf pour les petits rongeurs qui savent en repérer le bulbe à l’odeur.