Mouchard génétique… sur l’aspirateur de bas-fonds

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

Le lac est bien gelé, sauf près des quenouilles, où la fermentation des racines amincit la surface de glace. Soudain, une Loutre de rivière émerge d’un trou sombre, dépose sa prise et secoue dans la brise légère sa fourrure lustrée. Le poisson capturé fait une bonne cinquantaine de centimètres, un régal! Aux jumelles, on peut reconnaître un Meunier noir, probablement l’espèce la plus abondante des eaux québécoises.

Au lac Boivin, hormis quelques spécimens de Brochet maillé, rares sont les poissons qui atteignent cette taille. Mais comme le Meunier noir est beaucoup moins vif, c’est le plus souvent l’espèce qui est aperçue dans les serres d’un Balbuzard pêcheur dont le plongeon s’est avéré fructueux. Ce poisson est également apprécié au menu des hérons, des cormorans et des huards.

Le Meunier noir présente un corps tubulaire d’allure robuste, une tête massive, un museau légèrement arrondi et des écailles nettement dessinées. – WIKIMEDIA COMMONS

La «bouche suceuse» du meunier a la forme d’un fer-à-cheval et est garnie de papilles rondes. Elle lui permet de détecter et d’aspirer ses proies sur le fond du cours d’eau. – PHOTOS JEAN-FRANÇOIS DESROCHES

Malgré son nom, ce poisson n’est pas véritablement noir, et son dos varie plutôt du gris foncé au vert, ou parfois même au marron. Il appartient à la famille des Catostomidae (du grec, kata = «vers le bas»; stoma = bouche) qui regroupe aussi, au Québec, le Meunier rouge, la Couette et cinq espèces de chevaliers. Ces poissons se caractérisent par leur bouche «suceuse», en forme de fer-à-cheval, située sous le museau et orientée vers le bas. Chez les meuniers, elle est garnie de papilles rondes, et la lèvre inférieure est au moins deux fois plus large que la supérieure. Cet organe leur permet de détecter et d’aspirer à même le fond des nymphes, des larves d’insectes, de petits crustacés, des œufs de poissons et quelques débris végétaux.

Bien que les meuniers soient ignorés en pêche sportive, ils fournissent de précieuses indications aux chercheurs en environnement et en médecine. L’analyse de leur ADN a en effet permis d’établir un lien étroit entre leur degré de contamination aux hydrocarbures, et la présence d’«adduits» dans leurs cellules. Un adduit est un produit chimique découlant de la combinaison de deux molécules distinctes. En génétique, on parle d’«adduit à l’ADN» lorsqu’une autre molécule, d’hydrocarbure par exemple, se fixe à un site de l’ADN. Cette addition peut modifier l’expression des gènes et favoriser le développement de cellules cancéreuses. En raison de la répartition du Meunier noir au Québec, cette technique permet d’évaluer le degré de contamination des cours d’eau, et d’intervenir avant qu’il ne devienne trop important.