La grignotine… de chasteté

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (7 juillet 2020)

Certains ou certaines auront peut-être cru lire «GUILLOTINE de chasteté», en se remémorant la chronique évoquant le mythe de vagina dentata. Mais c’est bien de «grignotine» qu’il s’agit ici! Dans l’Antiquité et au Moyen-Âge, la consommation des rhizomes de plantes de la famille des Nymphaeaceae (nymphéas, nénuphars, lotus) était censée contribuer à limiter le désir sexuel, contrer les rêves érotiques et favoriser la chasteté. Ces tubercules étaient apparemment prisés dans les cloîtres, les couvents et les séminaires!

Les fondements de cette croyance sont nébuleux. Le nom de cette famille de plantes réfère aux nymphes de la mythologie grecque, ces divinités représentant de jeunes filles vierges personnifiant les capacités créatives du monde naturel. Plusieurs fleurs de la famille des Nymphaeaceae sont en outre d’une blancheur immaculée, évoquant virginité et chasteté. Le chatoiement du tapis de nymphéas à la surface des étangs a fortement inspiré l’impressionniste français Claude Monet qui peindra quelque 250 tableaux sur ce thème entre 1895 et 1926.

Pour les chercheurs en Botanique, ces fleurs présentent un tout autre intérêt: elles apparaissent au sommet de l’arbre généalogique des plantes à fleurs (Angiospermes), où elles figurent parmi les plus primitives d’entre elles. On peut ainsi imaginer que la couverture invasive de Nymphaea odorata, qui occupe une superficie de plus en plus grande chaque année au Lac Boivin, évoque un peu celle qui a pu recouvrir les étangs de la terre primitive au moment où les premières plantes à fleurs partaient à la colonisation de la planète!   

Cette plante se présente en deux sous-espèces: Nymphaea odorata odorata et Nymphaea odorata tuberosa. La première se distingue par ses feuilles dont le dessous présente une coloration rougeâtre, alors que chez sa cousine, le dessous des feuilles est plutôt vert tendre. Ces dernières présentent en outre un diamètre d’une fois et demie à deux fois plus grand que chez celles de la sous-espèce odorata. Or les deux formes colonisent différentes sections du Lac Boivin.

Les fleurs semblent distribuées à profusion, mais chacune d’entre elles ne dure en fait que trois jours, le temps de la pollinisation par les multiples insectes voletant à la surface de l’eau. La queue de la fleur fécondée se rétracte alors en tire-bouchon et la maturation des graines se poursuit sous l’eau. Le fruit qui sera relâché en surface fera notamment les délices des rats musqués et des canards branchus… dont il ne semble vraiment pas qu’il affecte les capacités reproductives!

Plusieurs fleurs de la famille des Nymphaeaceae sont d’une blancheur immaculée, évoquant virginité et chasteté. – WIKIMEDIA COMMONS

Le chatoiement du tapis de nymphéas à la surface des étangs a fortement inspiré l’impressionniste Claude Monet qui peindra quelque 250 tableaux sur ce thème. Ici «Nymphéas. Effet du soir» 1897 – Musée Marmottan Monet. – WIKIMEDIA COMMONS