Tel un scorpion avec des ailes... et une tête de marabout!
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (14 septembre 2022)
La température est chaude, quasi étouffante pour la mi-septembre. Une brise bienvenue rafraichit l’air et agite les fougères à l’orée de la sapinière. Dans la clairière attenante, abeilles, guêpes et bourdons s’affairent entre les plants de verges d’or, d’asters et de carottes sauvages. La cueillette a été bonne! Le filet à papillons fourmille de bestioles de tailles, de formes et de couleurs variées: calligraphes et chrysomèles, araignées et opilions, punaises et demoiselles, piérides et croissants perlés… Une ménagerie grouillante et bigarrée!
Le naturaliste recueille dans de petites fioles les spécimens nouveaux à identifier pour ses inventaires. Mais là, oh! prudence, une étrange chimère réveille aussitôt une crainte instinctive: on dirait un scorpion avec de longues ailes marbrées! De retour à la maison, la bête est examinée à la loupe. L’abdomen se termine par un organe globuleux muni d’un crochet qui ressemble effectivement au dard d’un scorpion. Prolongée par de longues mandibules en forme de bec, la tête évoque par ailleurs celle de grands échassiers, tels le Marabout d’Afrique ou le Tantale d’Amérique.

L’organe compilateur du mâle a toute l’apparence d’un dard de scorpion recourbé et dressé entre ses quatre longues ailes. – PHOTO MICHEL AUBÉ

Les longues mandibules de la mouche-scorpion évoquent le bec fort de grands échassiers, tels le Marabout d’Afrique ou le Tantale d’Amérique. – PHOTO JOANNE MUIS REDWOOD
Le motif particulier des ailes facilite l’identification de l’espèce. C’est un insecte de l’ordre des Mécoptères, Panorpa subfurcata, appelé familièrement «mouche-scorpion» en raison de son apparence. Mais ce qui ressemble à un dard est en fait l’organe copulateur du mâle. Cette bestiole, qui se nourrit surtout de petits arthropodes morts, présente un comportement sexuel curieux qui a été étudié en détails par les chercheurs. Le mâle exploite deux stratagèmes pour «séduire» les femelles. Il repère d’abord un insecte mort, de préférence au corps mou, puis il sécrète une phéromone qui attire la femelle. Il lui présente alors cette nourriture en «offrande» et procède à l’accouplement… pendant qu’elle déguste! La femelle est cependant sélective et préfère les mâles qui présentent les proies les plus volumineuses et les plus nutritives.
La compétition est vive entre les mâles pour le contrôle des carcasses à offrir, et les vainqueurs affichent un plus grand succès reproductif. Une autre stratégie consiste pour le mâle à régurgiter une masse visqueuse qu’il attache aux feuilles environnantes. Ses glandes salivaires sont d’ailleurs spécialisées pour en faire un composé alléchant. Attirée par les phéromones ensuite émises, la femelle semble trouver cette préparation particulièrement attrayante et se prête alors volontiers à l’accouplement. L’offre d’un bon repas constitue ainsi pour ce mécoptère une stratégie de séduction efficace, tout comme chez tellement d’autres espèces animales… y compris la nôtre!