Arbre de paix, arbre de vie

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

«À la proue et dans les cordages, des hommes pâles regardaient, émerveillés, les têtes ciselées des Pins monter et s’enchâsser dans la dentelle bleue du ciel.» Marie-Victorin imaginait ainsi l’ébahissement des matelots de Jacques Cartier devant la forêt laurentienne. Botanistes et historiens sont d’avis qu’à cette époque, le Pin blanc y était l’essence forestière dominante. Sa hauteur pouvait alors atteindre 60 mètres, la circonférence de son tronc, cinq mètres, et sa longévité, quatre siècles! Il en est encore aujourd’hui l’arbre le plus majestueux.

Son écorce est lisse, vert grisâtre, mais à maturité, aux trois quarts de sa hauteur, elle devient blanchâtre, d’où son nom. Lors de sa croissance en forêt, les branches inférieures meurent et les supérieures, exposées à la lumière, prennent le dessus, lui donnant l’apparence d’un gigantesque arbre de Noël. Ses aiguilles lisses sont regroupées par faisceaux de cinq. Entre 15 et 45 ans, cet arbre à croissance rapide peut gagner un mètre par année. Sa repousse est même favorisée par les feux de forêts, en raison de son écorce épaisse, mais aussi parce que les incendies réduisent la concurrence et créent un lit de régénération favorable.

L’arbre a eu une importance capitale en Amérique du Nord. La taille et la droiture de son tronc ont suscité la convoitise des Européens pour la fabrication des mâts de navires. En Nouvelle-Angleterre, au XVIIe et au XVIIIe siècles, les pins étaient réservés à la British Royal Navy. En 1772, les amendes sévères pour les coupes clandestines ont déclenché la Pine Tree Riot, une émeute défiant l’autorité royale, suivie en 1773 par le Boston Tea Party, une autre rébellion réagissant aux taxes exorbitantes sur le thé. Ces événements rapprochés ont constitué des éléments déclencheurs de la Révolution américaine (1775).

Appelé «Arbre de paix», le Pin blanc figure au centre du drapeau des nations iroquoiennes, rassemblées initialement sous la Confédération des Cinq-Nations (maintenant Six-Nations). Cette alliance reposant sur une véritable constitution, dotée d’un code juridique, constitua l’entité politique la plus puissante en Amérique du Nord au moins deux siècles avant la colonisation européenne. En 2017, la Ville de Montréal a intégré cet arbre à ses armoiries, attestant de la contribution autochtone à l’édification de la cité, au milieu des symboles représentant les Français (Fleur de Lys), les Britanniques (Rose), les Irlandais (Trèfle) et les Écossais (Chardon).

Le pin est probablement aussi le fameux Annedda, dont la décoction tirée de l’écorce et des rameaux aurait sauvé les matelots de Jacques Cartier atteints du scorbut à l’hiver 1535-1536. On a d’abord cru que cet arbre était le Thuya occidental (voir la chronique sur cette plante). Mais la thuyone qu’il produit est toxique et nocive à la consommation. Par ailleurs, le pin a une plus forte teneur en vitamine C, dont la carence est déterminante dans l’étiologie du scorbut. Par grands froids, il en secrète encore plus, surpassant à cet égard les autres conifères. Et surtout, le Pin blanc produit des oligo-proanthocyanidines (OPC), dont le pouvoir antioxydant est 50 fois supérieur à celui de la vitamine C. Ce facteur particulier expliquerait le spectaculaire rétablissement des matelots, en huit jours, grâce à cet «Arbre de vie»!

Pins blancs en bordure d’un marécage. WIKIMEDIA COMMONS

Le Pin blanc, l’Arbre de paix des autochtones, figure au cœur des armoiries de la ville de Montréal. – WIKIMEDIA COMMONS

Les longues aiguilles du Pin blanc sont regroupées par faisceaux de cinq. – WIKIMEDIA COMMONS