La faille d’Icare… et les fermes à virus

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (9 juin 2020)

Dans la mythologie grecque, Icare s’échappe du labyrinthe grâce à des ailes de plumes fixées avec de la cire. Grisé par le vol, il s’approche du soleil qui fait fondre l’enduit et provoque sa chute. Or chez les mammifères, seuls les Chiroptères (chauves-souris) peuvent voler… et la chaleur pourrait aussi les mettre en péril. Mais ce réchauffement critique provient plutôt des muscles du vol, dont l’activité hausse la température de l’organisme, acheminant au système immunitaire le signal erroné d’une violente inflammation.

Parmi les huit espèces de chauves-souris qui habitent le Québec, quatre ont pu être repérées sur le territoire du CINLB. Elles sont difficiles à observer, mais il est possible de détecter leur présence en captant, à l’aide de microphones, les cris d’écholocation typiques à chaque espèce, qui sont identifiés ensuite à l’ordinateur. L’espèce la plus fréquente sur le territoire est la Sérotine brune, qui hiberne au Québec. Avec une taille moyenne de 11 centimètres et une envergure d’ailes de 35 centimètres, c’est la deuxième plus grande de la province.

Les Chiroptères comptent 1 400 espèces dans le monde, soit le quart des mammifères, dont ils constituent le deuxième plus grand groupe, après les Rongeurs. En plus d’être les seuls mammifères capables de voler, ils font preuve d’une longévité exceptionnelle. Ainsi les petits rongeurs vivent en moyenne deux ans, alors que les chauves-souris d’un poids comparable peuvent durer… une vingtaine d’années!

Une troisième caractéristique de ces espèces est qu’elles sont de véritables fermes à virus. La Sérotine brune a été confirmée porteuse des virus de la rage, de la poliomyélite, du Nil occidental, de l’encéphalite de St-Louis… Les virus Ebola, Marburg, Nipah, Hendra… et même celui responsable du SRAS, seraient vraisemblablement hébergés et transmis par des espèces de chauves-souris africaines et asiatiques. Dans le foisonnement de recherches qui ont été menées sur la COVID-19, plusieurs portent sur les animaux hôtes et transmetteurs de virus, en particulier les chauves-souris.

Quelques chercheurs font l’hypothèse que les caractéristiques qui distinguent les Chiroptères (vol, longévité, virus) sont étroitement liées. Pour que ces espèces aient pu s’adapter au vol, et contrer la faille du signal inflammatoire interprété de façon inappropriée par le système immunitaire, il a sans doute fallu quelques mutations génétiques affaiblissant les mécanismes de défense. Cela expliquerait la tolérance à une grande diversité de virus. Par ailleurs, comme les réactions inflammatoires deviennent de plus en plus nombreuses et nocives avec l’âge, leur contrôle par ces mutations aurait du même coup favorisé une plus grande longévité!

La Sérotine brune repère ses proies en émettant une séquence de petits cris typiques à l’espèce, dont ses oreilles et son système auditif analysent l’écho à la manière d’un sonar. – PHOTO ANGELL WILLIAMS

Les chauves-souris se reposent tête en bas, accrochées par les pattes de derrière au mur d’un édifice ou d’une grotte naturelle. Elles peuvent prendre leur envol simplement en relâchant leur prise et en déployant leurs ailes. – WIKIMEDIA COMMONS