Le repaire du tueur sans nom

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

Le 14 mai 1993, un jeune Navajo de Littlewater au Nouveau-Mexique manifeste des troubles respiratoires sévères, accompagnés de fièvre et d’étourdissements. Il mourra peu après son admission à l’hôpital. L’autopsie révèle des poumons saturés d’œdème sanguin, rappelant un cas inexpliqué survenu un mois auparavant. La fiancée du jeune homme est elle-même décédée la semaine précédente en présentant des symptômes analogues. Cinq nouveaux cas seront communiqués dans les jours suivants, provenant tous de la région des Four corners, là où se rencontrent les quatre états de l’Utah, du Colorado, de l’Arizona et du Nouveau-Mexique.  

Le mal est inconnu et le Center for Disease Control d’Atlanta (CDC) est alerté. Dans les semaines suivantes, plusieurs cas seront recensés, avec un taux de mortalité de 80%. L’analyse du sérum sanguin permet de cibler certaines classes de virus et de formuler des hypothèses sur le vecteur de propagation. En épidémiologie, on appelle «espèce-réservoir» l’animal qui héberge un virus sans que sa propre santé n’en soit affectée. Celui-ci devient en quelque sorte son repaire et lui servira de véhicule pour contaminer les organismes dont il empruntera le matériel génétique pour se reproduire.

L’agent pathogène était une forme d’Hantavirus encore jamais décrite. Son hôte est un petit rongeur, la Souris sylvestre, adaptée à une large diversité de niches écologiques: désert ou savane, forêt boréale comme toundra enneigée. Elle est trouvée en abondance du centre du Mexique jusqu’aux confins de l’Alaska. Dans les inventaires pour l’Atlas des Micromammifères du Québec, c’est l’espèce la plus fréquemment observée.

Active toute l’année, elle s’installe souvent en hiver dans les chalets ou les bâtiments de ferme. Les ouvriers agricoles composaient d’ailleurs la majorité des victimes de l’épidémie de 1993. La propagation se fait par les selles et l’urine desséchées, mêlées à la poussière et respirées avec l’air. Quelques cas de séropositivité ont été constatés chez les souris du Québec, mais les seules infections humaines recensées au pays proviennent des provinces de l’ouest.

L’appellation officielle d’un virus réfère généralement au lieu de sa découverte. Les épidémiologistes choisirent Four Corners Virus, mais les élus locaux protestèrent, car ce nom correspondait à un site hautement touristique. On proposa alors Muerto Canyon Virus, du nom d’un autre lieu avoisinant. Mais les Navajos et le Service des Parcs s’y opposèrent, pour des raisons historiques et patrimoniales. La désignation qui rallia finalement les parties fut Sin Nombre Virus… le «virus sans nom»!

Arborant un pelage qui varie du brun au gris, la Souris sylvestre occupe une grande diversité d’habitats, du désert à la forêt, et jusqu’à la toundra enneigée aux confins de l’Alaska. – PHOTO MICHEL AUBÉ

Très agile, la Souris sylvestre est une bonne grimpeuse qui cherche fruits et graines jusque dans les arbres. – WIKIMEDIA COMMONS