La petite perle rubis tapie dans les mailles de son filet

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (8 juin 2022)

Pour peu que l’on y prête attention, les clairières à couvert arbustif du CINLB constituent de véritables jungles, fourmillant d’une myriade de bestioles, entremêlant prédateurs et proies dans une chasse continue. Là, cette feuille étrangement recourbée cache probablement quelque surprise. Recroquevillée par la tension de fils minuscules, elle prend la forme d’un hamac inversé. En la retournant, une petite chose délicate s’y déplace, une perle rubis, ponctuée en son centre d’une tache jaune vif et dotée de pattes translucides et dorées.

C’est Theridula emertoni, une araignée de la famille des Theridiidae qui regroupe environ 3000 espèces de par le monde, dont une soixantaine au Québec. La femelle a une taille maximale de 2,8 millimètres et son abdomen ovoïde est plus large que long. De chaque côté, une tache noire en marque les extrémités, et le céphalothorax est noir, liséré d’or. 

La femelle Theridula emertoni a l’apparence d’une minuscule perle rubis, ponctuée en son centre d’une tache jaune vif, et dotée de pattes translucides et dorées. – WIKIMEDIA COMMONS

L’abdomen rouge orangé du mâle est d’apparence plus sphérique que chez la femelle, et le centre du céphalothorax arbore un rectangle noir, bordé de rouge. – PHOTO JEAN BRODEUR

L’abdomen du mâle est plus sphérique, d’un rouge plus orangé, moins rutilant que chez la femelle, sans taches noires sur les côtés et, selon les spécimens, il n’arbore pas toujours la tache jaune vif au centre. Les pattes et les pédipalpes sont du même rouge orangé que son abdomen et le céphalothorax est noir, bordé de rouge.

Le nom de genre de la bestiole provient du grec theridion (= «petite bête») et du diminutif latin ula, autrement dit, une «très petite bête». Cette désignation correspond fort bien à sa taille minuscule, car on pourrait facilement en aligner de six à dix sur une pièce de dix sous. Le nom de l’espèce, emertoni, est en l’honneur de l’arachnologue américain, James Henry Emerton, qui a lui-même découvert plusieurs nouvelles espèces d’araignées.

Theridula emertoni construit une toile en deux sections, à environ trente centimètres du sol. La partie supérieure consiste en un treillis tridimensionnel sous une feuille, recourbée vers le sol sous l’effet de la tension des fils. La femelle y pond quelques dizaines d’œufs dans un cocon blanc et soyeux de trois millimètres de diamètre qu’elle veille par la suite. Après l’éclosion, les araignées immatures restent sous la feuille, en compagnie de la femelle. La partie inférieure de la toile consiste en une série de fils verticaux, tendus comme de minces barreaux, du nid vers le sol. Chacun est enduit de gouttelettes visqueuses et compose un filet efficace où de petits insectes se retrouveront piégés.