L’épineux sarcophage de la mouche-paon

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (23 juin 2020)

L’appellation de «mouche» désigne généralement un insecte de l’ordre des Diptera (à deux ailes) du sous-ordre des Brachycera (à antennes courtes). Il en existe une dizaine de milliers d’espèces au Canada et leur présence évoque habituellement un harcèlement désagréable plutôt qu’une occasion d’émerveillement.  Mais parfois, sur une plante de jardin, il s’en pose une qui étonne par la finesse et la rareté de ses motifs, comme s’ils étaient ciselés pour un bijou exclusif.

C’est le cas des Tephritidae, une famille dont l’ornementation spectaculaire a mérité à ses membres le nom de «mouches-paons». L’une d’elles, Urophora cardui, est présente dans les clairières du CINLB. Longue de sept millimètres, elle a des yeux aux reflets turquoise et chacune de ses ailes arbore un énorme W, qui semble tracé au pinceau. Chez la femelle, l’abdomen est effilé comme un dard, mais il s’agit de l’ovipositeur, l’organe de la ponte.

D’origine européenne, cette mouche a été importée en Amérique du Nord en 1974, pour contrer l’envahissement du Chardon des champs dans les terres agricoles. Cette plante a elle-même été introduite, quoiqu’accidentellement, dès le XVIIe siècle, à travers l’importation de denrées et de semences. Elle prolifère dans les terrains amendés en engrais azotés et en fumier, ce qui en fait une compétitrice majeure pour les cultures.

À peine accouplée, la femelle Urophora va pondre quelques dizaines d’œufs dans la tige d’un plant de chardon, préalablement marqué aux phéromones d’un mâle. Puis elle s’accouple avec lui et s’envole vers un autre plant, également présélectionné et marqué… mais par un mâle différent! Le premier stade larvaire (instar) se passe dans l’œuf. Après l’éclosion, au bout d’une quinzaine de jours, les larves à leur deuxième stade creusent des galeries et se nourrissent de la plante, qui réagit en formant une galle. Celle-ci va croitre pendant environ un mois et peut atteindre la taille d’une prune.

La galle mûrit encore un mois et devient progressivement ligneuse. Sur les parois intérieures se développe alors un nouveau tissu, plus nutritif, dont vont se gaver les larves à leur troisième stade. C’est à cette période qu’elles vont réaliser 98% de leur croissance, avant d’entrer en hibernation. Au printemps, dès que la chaleur est propice, les larves vont effectuer leur pupaison et prendre leur forme définitive (imago) en une dizaine de jours. Ces nouveaux adultes trouvent un chemin vers l’extérieur et quittent, pour un autre cycle de reproduction, l’épineux tombeau… où plusieurs autres larves restent encastrées.

Urophora cardui appartient à la famille des Tephritidae dont l’ornementation spectaculaire a mérité à ses membres le nom de «mouches-paons». – WIKIMEDIA COMMONS

Lorsque les larves d’Urophora cardui se nourrissent à l’intérieur d’un plant de Chardon des champs, celui-ci réagit en formant une galle qui peut atteindre la taille d’une prune. – WIKIMEDIA COMMONS