Le petit paon perdu... au bord de la piste cyclable
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (10 mai 2023)
Du coin de l’œil, le photographe a cru apercevoir un mouvement près de la piste. Là, cette tache sombre peut-être, dans le tapis de feuilles mortes. Il ajuste sa caméra et approche. Mais un flash coloré le fait sursauter, comme si quatre yeux intenses avaient brusquement dardé leur regard vers lui. Il a aussi perçu un léger sifflement qui l’a fait s’écarter avec prudence. Cette combinaison de stratégies est déployée par le Paon-du-jour, lorsqu’il est alerté. Originaire d’Europe, ce splendide papillon appartient à la famille des Nymphalidés, qui comprend d’autres espèces somptueuses, comme le Monarque, la Belle-dame, ou l’Amiral.
Cet insecte a été aperçu pour la première fois en Amérique du Nord en 1997, près du port de Montréal, suggérant qu’il a fait clandestinement le voyage sur les bateaux de marchandises. Sa progression s’est faite lentement, avec environ 200 spécimens observés au Canada depuis. La majorité des mentions provient de la région de Montréal, et les observations les plus à l’est au Québec sont de Trois-Rivières en 2021 et d’Ulverton en 2022. Quatre mentions provenant d’Halifax, en 2020 et 2021, confortent l’hypothèse d’une arrivée maritime. Il a été observé à Granby en 2016 et 2023, et photographié au CINLB, au bord de la piste cyclable la Granbyenne, en mai 2022.
D’une envergure de cinq centimètres, ce papillon arbore une livrée rouge brique, tachetée de jaune et de noir sur la bordure des ailes antérieures. Mais ce qui est surtout frappant, ce sont les quatre ocelles qui s’en détachent comme des yeux vifs, deux à l’extrémité des ailes antérieures et deux sur la bordure extérieure des ailes postérieures. Leur vision en est saisissante, évoquant le regard d’un chat ou d’un hibou. Les ocelles d’en avant présentent un centre rouge et noir, cerclé de jaune et de bleu. Les postérieures, cerclées de jaune pâle, ont un centre noir marqué de taches bleu clair. Leur ressemblance avec celles qui ornent les plumes des paons lui a conféré son nom vernaculaire.
La face ventrale des ailes est d’un brun grisâtre, évoquant la couleur des feuilles mortes. Au repos, lorsque ses ailes sont refermées au-dessus de lui, le papillon se confond aux débris et brindilles du sol. Mais dès qu’il perçoit une présence, il ouvre et referme brusquement les ailes, avec un léger bruissement dans leur friction qui ressemble à un sifflement, et il projette le regard menaçant que simulent les ocelles. Des expérimentations contrôlées ont permis de confirmer que des bruants ont une réaction d’évitement face à ce comportement, qui permet alors au papillon de s’enfuir.
En déployant ses ailes, le Paon-du-jour expose les ocelles qui évoquent le regard perçant d’un prédateur. – PHOTO THOMAS BRESSON
Le dessous des ailes repliées présente une couleur brun grisâtre, qui imite celle des feuilles mortes au sol. – PHOTO NOBBIP