Le vol éthéré du patineur céleste

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

L’impression est étrange. L’observateur se demande même s’il n’a pas des visions. Comme lorsqu’on a regardé le soleil et que des taches floues dansent devant les yeux. Ce sont parfois de petits points sombres qui disparaissent alors que d’autres apparaissent en clair un peu plus loin. L’étrange bestiole est finalement identifiée lorsque deux ou trois spécimens se posent avec légèreté sur une feuille de Peltandre de Virginie (voir: https://www.youtube.com/watch?v=JeeJ2sd4K4M). L’observateur n’en avait jamais vus en pleine nature, mais leur description dans les guides l’avait frappé, et surtout le nom de l’espèce l’avait vivement intrigué: «le Fantôme des marais»!

Ce Diptère au corps gracile a des pattes antérieures et médianes qui ont à peu près la longueur de son abdomen mince et effilé, alors que les postérieures sont une fois et demie plus longues. Ces pattes sont noires et blanches, en alternance, ce qui fait qu’une partie de l’insecte semble apparaitre ou disparaitre, selon qu’il vole contre un fond clair ou sombre. Les ailes sont proportionnellement très courtes, atteignant à peine la moitié de l’abdomen. Derrière celles-ci, deux petits haltères, vestiges des ailes postérieures présentes chez d’autres espèces d’insectes, assurent une fonction de balancier et de proprioception.

– PHOTO JEAN BRODEUR

– WIKIMEDIA COMMONS

Un renflement gonfle l’extrémité des pattes qui sont creuses et fort légères, à tel point qu’on a l’impression que l’insecte flotte, membres écartés, dans les courants aériens. Ou même qu’il vole carrément avec ses pattes, comme si les ailes ne servaient que de gouvernail (voir: https://www.youtube.com/watch?v=NigNkdk9xmY)! Il fait un peu penser aux insectes qui évoluent à la surface de l’eau… sauf que celui-ci glisse dans l’air, tel un patineur céleste! L’adulte se nourrit du nectar des fleurs ou du miellat extrait des plantes par les pucerons. Cette dernière phase de vie est éphémère et surtout consacrée à la reproduction. La femelle pond quelques centaines d’œufs dans les sédiments riches et humides formés de plantes en décomposition à la surface des marécages. Les larves enfouies s’y développeront selon leurs différents stades (ou instars), jusqu’à leur transformation en nymphes. Leur respiration est assurée dès l’éclosion par un siphon qui relie chaque individu à la surface. La majeure partie de la vie de l’insecte est ainsi passée dans cet état larvaire.

Le nom de «Fantôme des marais» lui a été conféré en raison de ces conditions de vie, souterraines et sépulcrales, combinées à l’habitat marécageux et au vol éthéré de l’adulte, rappelant la silhouette évanescente et fugitive d’un spectre.