Un mystificateur princier, gavé à l’aspirine
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (7 septembre 2016)
Le Vice-roi, un magnifique papillon aux ailes orangées nervurées de noir, fréquente assidument le territoire du CINLB. Ce Lépidoptère entretient, avec le Monarque qui lui ressemble, une relation privilégiée qui contribue à sa protection contre les prédateurs.
Le Vice-roi apparaît en effet comme une réplique miniature du Monarque. Or, il est connu depuis longtemps que ce grand papillon, en s’alimentant au latex toxique de l’Asclépiade commune, est lui-même toxique, ce qui assure sa protection. En copiant sa livrée orange nervurée de noir, le Vice-roi envoie le même message d’alarme qui éloigne les prédateurs. Ce phénomène est appelé «mimétisme batesien», du nom de l’entomologiste Henry Walter Bates qui en a fait la description en 1863.
Jusqu’au début des années 1990, on a cru que le Vice-roi profitait «gratuitement» de la toxicité du Monarque. Or il a été démontré depuis que ce papillon est aussi toxique que son grand cousin. En s’alimentant à sa plante hôte, le saule, il est gavé à l’acide salicylique, contenue dans l’écorce de cet arbre.
Les décoctions tirées de cette écorce sont connues depuis l’antiquité pour leurs vertus curatives, notamment pour soulager douleurs et fièvres. L’aspirine, qui est dérivée de l’acide salicylique, est notamment l’un des médicaments les plus consommés au monde. Mais en trop forte dose, le produit devient toxique.
On a ainsi affaire à un autre type de mimétisme, doublement protecteur : comme les deux papillons sont toxiques, les prédateurs du Monarque évitent le Vice-roi qui lui ressemble, et ceux du Vice-roi évitent le Monarque qui en est la copie élargie. Ce phénomène de double protection est appelé «mimétisme mullerien», en l’honneur du zoologiste Fritz Müller qui en a le premier proposé l’explication en 1878.
La courbe traversant obliquement les ailes postérieures est l’un des traits permettant de distinguer le Vice-roi (figure du haut) du Monarque (figure du bas). – WIKIMEDIA COMMONS