Des colonies d’envahisseurs… à la rescousse du climat

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (16 septembre 2020)

Le canot glisse entre les nymphéas, dont le frottement contre la coque évoque une protestation plaintive. En cette fin d’été, l’air est doux et le ciel légèrement couvert. Le long d’une souche bordant la rive, une curieuse structure affleure. Un ensemble de masses spongieuses, brun pâle, ponctuées de centaines de taches, vaguement étoilées, couleur crème. On dirait des éponges… mais en plus visqueux.

C’est une colonie de Pectinatella magnifica, l’une des treize espèces de Bryozoaires d’eau douce présentes au Québec. Ces animalcules affectionnent les eaux fertilisées, à faible courant, où ils se fixent à divers substrats, telles des roches, des souches ou des branches immergées. Sa propagation est fulgurante: originaire d’Amérique du Nord (découverte en 1851), l’espèce a déjà colonisé l’Europe et l’Asie.

Les Bryozoaires (du grec bruon = mousse, et zoon = animal) sont suffisamment particuliers qu’ils constituent un embranchement à eux seuls, au même titre que les Arthropodes (insectes, araignées, crustacés), ou les Chordés (dont font partie les vertébrés). On en dénombre environ 20 000 espèces, dont les trois quarts sont fossiles. Parmi les 5 000 espèces encore vivantes, la plupart sont marines et se retrouvent en eaux tropicales.

Chez Pectinatella, la taille des individus, appelés «zoïdes», est de un à trois millimètres. La colonie peut en contenir plusieurs centaines, voire des milliers. Le zoïde est composé de deux parties : une loge de calcaire, le «cystide», et une partie viscérale, le «polypide» contenant l’appareil digestif et un ganglion nerveux. À l’extrémité supérieure du tube digestif se trouve un organe particulier, le «lophophore», une couronne de tentacules entourant la bouche. Par leurs oscillations, ceux-ci créent un courant permettant de filtrer l’eau ambiante et d’aspirer le plancton.

Les colonies de Pectinatella magnifica affectionnent les eaux fertilisées, à faible courant, où elles se fixent à divers substrats, telles des roches, des souches ou des branches immergées. Le lac Boivin leur offre à cet égard un habitat idéal. – PHOTO HARM SLOTERDIJK

Cette activité de filtration contribue au processus d’autoépuration des eaux et à la résilience écologique qui permet à un écosystème de réduire les perturbations occasionnées par la pollution. Le rôle de ces petits animalcules peut parfois prendre une ampleur insoupçonnée. Ainsi, une équipe de chercheurs ayant observé les fonds marins en Antarctique pendant deux décennies a découvert que la fonte de la calotte glaciaire avait favorisé une croissance exceptionnelle des bryozoaires marins. Ces scientifiques ont aussi constaté que ces colonies opéraient à la façon de véritables aspirateurs de CO2. Leur recherche, publiée dans Current Biology en septembre 2015, révèle que ces bryozoaires ont absorbé, en vingt ans, quelque 60 tonnes de CO2, un effet comparable à celui de 50 000 hectares de forêt tropicale!