Le petit Pégase… et sa garde rapprochée

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (28 avril 2021)

Oh, quel phénomène étrange et curieux! On dirait un minuscule miroir volant, argenté ou bleuté, frémissant et sautillant dans l’air… et scintillant comme s’il faisait des clins d’œil racoleurs! Puis la chose hésite et vient se poser sur le rebord de la fenêtre. C’est un tout petit papillon gris pâle, aux ailes refermées l’une contre l’autre, bordées d’un liséré régulier, crénelé et plus foncé. Le centre de chaque aile est ponctué d’un motif noirâtre, fait de taches régulières qui dessinent une étrange et singulière sténographie, tel un code précis qui servira à identifier l’espèce en propre.

La posture fière de l’insecte, dressé sur ses pattes fines, évoque, en plus petit, Pégase, le cheval ailé et divin de la mythologie grecque. Deux pattes antérieures se dressent en hauteur comme s’il piaffait. La tête est légèrement renfrognée, un semblant de crinière échevelée retombe sur le front, et deux fines antennes pointent agressivement vers l’avant telles des lancettes. On croirait qu’il s’apprête au combat. Les énormes yeux noirs en amande, bordés d’une mince ligne blanche, rappellent les œillères des armures moyenâgeuses.  

Puis l’insecte repart, léger, éthéré comme une fée, en quête de verdure dans le printemps qui s’éveille. Dès qu’il se pose à nouveau, ses ailes s’ouvrent, oh miracle, telles deux petites mains offrant une parcelle de ciel pur! C’est Celestrina ladon, l’Azur printanier, un petit papillon bleu et précoce, aisément rencontré au CINLB, et dont les nymphes émergent de leur hibernation vers la mi-avril. Cet insecte affectionne les plants de cerisiers, de cornouillers, et particulièrement ceux de viornes qui produisent déjà à cette époque leurs premières feuilles et leurs premiers bourgeons floraux. La femelle y pondra ses œufs et, quelques semaines plus tard, les chenilles verdâtres se délecteront des feuilles et des fleurs.

Sauf chez les abeilles, les guêpes, les fourmis ou les termites, les insectes assurent rarement la protection de leur progéniture. Mais au gré de l’évolution, la sélection naturelle a produit une étrange symbiose favorisant la protection et le développement de l’Azur printanier. Les chenilles sécrètent un nectar particulier dont raffolent les fourmis. Celles-ci repèrent aisément les larves et deviennent aussitôt les gardiennes de ce précieux garde-manger, dont elles éloigneront de façon virulente les prédateurs qui les menacent. En cas de danger imminent, les chenilles peuvent même produire une phéromone d’alarme qui irrite fort leurs protectrices et les mobilise plus agressivement et plus efficacement contre les intrus.

Dès que l’Azur printanier se pose, ses ailes s’ouvrent telles deux petites mains offrant une parcelle de ciel pur! – WIKIMEDIA COMMONS

Dressé sur ses pattes fines, l’insecte évoque Pégase, le cheval ailé de la mythologie grecque. Un semblant de crinière échevelée retombe de la tête renfrognée, et deux fines antennes pointent agressivement vers l’avant, telles des lancettes. – PHOTO MICHEL AUBÉ