Péril à la table des Césars

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (19 août 2020)

La voilà enfin! Au détour d’un sentier, elle apparait comme un éclat de feu dans un écrin de fougères et de plantules. Pour l’amateur de champignons, c’est toujours un émoi! Même le novice la connaît de réputation par les photos des guides. L’Amanite de Jackson présente un chapeau arrondi et mamelonné, d’un diamètre de 8 à 12 centimètres, de couleur écarlate au sommet, s’estompant vers l’orange à mesure que l’on approche de la marge striée. Son pied jaune souffre, marbré d’orange, émerge d’une gangue blanche, la volve, et se dresse sur une hauteur de 10 à 20 centimètres. L’anneau effiloché sous le chapeau est le vestige du voile partiel qui recouvrait les lamelles jaune safran pendant la croissance.

Parmi les 600 espèces d’amanites qui existent dans le monde, dont une cinquantaine au Québec, c’est l’une des rares qui soit comestible. Et encore, le mycologue gastronome doit rester prudent, car 95% des empoisonnements suite à l’ingestion de champignons sont attribuables à des espèce de cette famille. L’Amanite de Jackson peut ainsi être confondue avec l’Amanite tue-mouches, toxique et hallucinogène, notamment lorsque cette dernière présente un chapeau lisse, dépourvu des fragments floconneux caractéristiques dont il est habituellement recouvert.

Le nom anglais du champignon est American Caesar’s Mushroom, car il présente, par la couleur et l’apparence, une étroite ressemblance avec l’Amanite des Césars que l’on trouve sur le pourtour méditerranéen, en particulier en Italie. Également comestible, cette amanite était considérée comme l’un des champignons les plus prisés au plan gastronomique. Elle était pour cette raison fréquemment servie à la table des Césars. La plupart des historiens de l’Antiquité sont d’ailleurs d’avis que cette gourmandise aurait même servi à l’assassinat de l’empereur romain Claude en 54 avant l’ère chrétienne. Il serait décédé suite à un empoisonnement aux champignons après un copieux festin, où des fragments d’Amanite phalloïde (appelée «calice de la mort») aurait été ajoutés au plat d’Amanite des Césars.

Ce complot présumé aurait été ourdi par sa nièce et épouse, l’impératrice Agrippine la Jeune, sœur de Caligula et mère de Néron. Petite-fille d’Auguste, premier empereur romain, et de Marc Antoine, fidèle lieutenant de Jules César et amant de Cléopâtre, Agrippine aura toute sa vie été imprégnée du rêve impérial. On soupçonne qu’elle a manœuvré pour que son fils succède à Claude comme empereur. Mais le jeune Néron, gêné par l’omnipotence de sa mère dans les affaires de l’état, l’aurait fait assassiner à son tour!

Au détour d’un sentier, l’Amanite de Jackson apparait tel un éclat de feu sur le tapis de feuilles et de plantules. – PHOTO MICHEL AUBÉ

Deux caractéristiques importantes aident à reconnaitre les amanites: un anneau membraneux autour du pied, juste sous le chapeau, et un bulbe à la base, chaussé d’une volve. – PHOTO MICHEL AUBÉ