Un bombardier dans la guerre des clans

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

La pierre est à peine soulevée qu’un petit coléoptère s’enfuit précipitamment. Il a fière allure dans sa livrée couleur de corail. Ses élytres, les ailes dures et cornées qui recouvrent son dos, ont l’apparence d’une cape sombre, couleur d’aubergine. Et ses gros yeux donnent l’impression d’un double monocle noir apposé de chaque côté de la tête. On dirait l’accoutrement d’un super-héros de bande dessinée! Mais avec une taille d’à peine huit millimètres, bonjour le héros! Quoique…

Il se trouve que cette bestiole, toute minuscule qu’elle soit, dispose d’une formidable arme secrète et ne craint pratiquement aucun prédateur! Cet insecte est un Brachinus janthinipennis, en référence à la couleur de ses élytres (du latin ianthinus = violet, et penna = aile). C’est l’une des huit espèces de «coléoptères bombardiers» au Québec, trouvées surtout près des milieux humides du sud de la province. Ces bestioles tirent leur nom du fait qu’elles bombardent littéralement leurs attaquants en projetant de leur abdomen un liquide corrosif, élevé à une température de 100° Celsius! Il existe plus de 500 espèces de coléoptères bombardiers dans le monde, dont la majorité dans le genre Brachinus.

Des glandes à l’intérieur de l’abdomen sécrètent deux produits chimiques dans une cavité interne. Des enzymes provoquent une réaction thermique de ce mélange, suivie d’une explosion qui pulvérise le liquide en ébullition à l’extérieur. – ILLUSTRATION MICHEL AUBÉ

– PHOTO TOM MURRAY

Leur étrange capacité découle d’agencements anatomiques et physiologiques précis. Des glandes à l’intérieur de l’abdomen sécrètent deux produits chimiques mélangés dans une cavité interne: des hydroquinones (hydrocarbures voisins du benzène) et du peroxyde d’hydrogène. Lorsque l’insecte est attaqué, le mélange passe dans un vestibule aux parois renforcées où des enzymes catalyseurs provoquent une violente réaction thermique, suivie d’une explosion qui pulvérise le liquide en ébullition à l’extérieur. Plusieurs jets peuvent être émis en moins d’une seconde, et les muscles abdominaux permettent de les diriger vers n’importe quelle direction d’où provient l’attaque. 

Ce mécanisme de défense particulier est devenu l’enjeu d’un débat enflammé entre les créationnistes, adeptes du dessein intelligent (intelligent design), et les évolutionnistes. Les premiers prétendent que l’agencement des éléments composant le dispositif est tellement minutieux et sensible qu’il ne peut avoir évolué, puisque la moindre erreur de parcours aurait fait exploser la bestiole. Ils invoquent une «complexité irréductible» requérant absolument un designer, un créateur. La réponse des évolutionnistes a été de montrer qu’il existait, chez diverses autres espèces de coléoptères, des versions de plus en plus complexes du mécanisme, illustrant des étapes intermédiaires sécuritaires, fonctionnelles et adaptatives. Bref, que la sélection naturelle pouvait, dans ce cas aussi, avoir rendu possible, progressivement à travers les âges, une telle complexité.

Et BANG !!!