L'ingénieur de la biodiversité

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (2 mars 2022)

La neige crisse sous les pas du promeneur. Un énorme «plouf» détonne soudain non loin de la digue, tel un corps tombant à l’eau. Le marcheur rapproché de la berge aperçoit une mare sombre, là où la glace amincie a fondu aux premiers redoux de mars. Le remous des vaguelettes témoigne du plongeon récent. Puis une tête massive, aux oreilles bien rondes, émerge de l’eau et glisse à la surface. Le sursaut du promeneur provoque un nouveau «splash» éclaboussant la neige tout autour. 

C’est un Castor du Canada alerté alors qu’il venait puiser dans sa réserve de brindilles. Les nombreuses branches de peuplier et de bouleau fichées à l’automne dans la boue du fond ont constitué une ressource alimentaire précieuse. Mais elles ont aussi fragilisé la glace qui a fondu plus facilement au récent redoux. Le castor est le plus gros rongeur d’Amérique du Nord, et le deuxième plus volumineux au monde. Long de plus d’un mètre, sa fourrure varie du fauve au brun foncé.

Les barrages de castor sont des merveilles de construction, combinant troncs d’arbres, pierres, boue et mousse. – WIKIMEDIA COMMONS

Le Castor du Canada est le plus gros rongeur d’Amérique du Nord, et le deuxième plus volumineux au monde. – PHOTO TOM MURRAY

Son corps est parfaitement adapté à la vie aquatique. Ses pattes arrière sont larges et palmées, ses oreilles et ses narines sont munies de valves refermées sous l’eau, et une membrane translucide recouvre ses yeux en plongée. Ce qui le distingue surtout, c’est sa queue puissante et musclée, longue de 30 centimètres et large de 18, qui lui assure une forte propulsion. Quatre incisives orange foncé, longues de 2,5 centimètres, constituent un terrible instrument de coupe lui permettant d’abattre un arbre de taille moyenne en quelques minutes. Leur couleur ocrée provient des composantes ferrugineuses de l’émail qui s’en trouve renforcé et acéré telle une lame.

Les biologistes considèrent le castor comme un véritable «ingénieur d’écosystèmes». Les énormes barrages qu’il érige sont des merveilles de construction, combinant troncs d’arbres, pierres, boue et mousse. Ses pattes avant, agiles comme des mains, permettent de manipuler et transporter les branches et cailloux requis, et de colmater efficacement toute fuite repérée. Les barrages sont consolidés régulièrement et même modifiés pour ajuster le niveau de l’eau. Ils transforment radicalement l’environnement géographique et ses caractéristiques hydrologiques. Les écosystèmes qui en résultent augmentent la biodiversité environnante, tant au niveau des plantes aquatiques que des invertébrés et des amphibiens qui y prolifèrent. Plusieurs poissons (dont la Perchaude) ont une croissante plus grande et plus rapide dans les étangs de castors.