La déesse des neiges qui a perdu ses ailes

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

Le CINLB a participé à l’hiver 2017 à une recherche sur le petit peuple qui habite l’espace subnivéen, un espace de quelques millimètres entre la surface du sol et le couvert de neige. Isolé par celle-ci et réchauffé par la décomposition des végétaux, cet espace maintient une température stable autour de deux degrés Celsius. À l’aide de pièges-fosses spécialisés, on peut y recueillir une surprenante diversité : insectes, araignées, cloportes, limaces, acariens, collemboles…

Au milieu de ce petit monde, un curieux insecte rarement observé : Chionea valga. Cette bestiole de 3-5 mm a de longues pattes repliées contre le corps et ressemble à une araignée. Elle appartient à l’ordre des Diptères (insectes à deux ailes) qui regroupe les mouches, les taons, les moustiques, etc. Alors que la plupart des insectes ont deux paires d’ailes, les Diptères n’en ont qu’une, la paire postérieure étant atrophiée, laissant comme vestiges deux petits moignons, appelés haltères. Ces organes servent de balancier, permettant un vol souple et bien contrôlé.

Ce qui est curieux chez les espèces du genre Chionea, c’est que, tout en partageant les caractères qui en font des Diptères… elles n’ont pas d’ailes ! Les haltères subsistent toujours, mais jouent probablement un rôle sensoriel, encore à élucider. Le nom de l’insecte vient de Chioné, divinité grecque associée à la neige, et fille de Borée, dieu de l’hiver.

Les adultes de cette espèce sont rarement trouvés, parce que leur présence coïncide avec l’hiver, et qu’ils sont probablement spécialistes de l’espace subnivéen. Leur vie dure quelques semaines, deux mois tout au plus, et l’accouplement a lieu en février, par grands froids.

Tout en partageant les caractères qui en font des Diptères, les espèces d’insectes du genre Chionea n’ont pas d’ailes! Les haltères subsistent toujours, mais jouent probablement un rôle sensoriel, encore à élucider. – PHOTO TOM MURRAY

L’atrophie des ailes chez les insectes a différentes causes, dont l’une est sans doute reliée aux basses températures. En effet, de 50 à 60% des insectes actifs dans les régions enneigées ont perdu leurs ailes. L’une des explications repose sur le fait que la température interne requise pour l’activation des muscles du vol avoisine les 30 degrés, une température difficile à maintenir dans les régions froides. Chionea en a tiré un avantage évolutif, en utilisant l’espace libéré par les muscles atrophiés pour y emmagasiner plus d’œufs.