Pétales en dentelle sur le coeur meurtri d'Ophélie

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

La plante a une allure frêle, sans doute en raison de ses fleurs, au dessin si finement découpé. Chacun des cinq pétales rose pâle est divisé en quatre lanières qui lui donnent une apparence de dentelle effilochée. Dix étamines et cinq styles occupent le centre de la fleur. Le calice tubulaire, formé de cinq sépales soudés, est marqué de dix nervures saillantes, rouge foncé. Haute d’une soixantaine de centimètres, la tige est recouverte de poils orientés vers le bas, qui lui donnent une texture rêche. Les feuilles sont opposées et lancéolées, plus effilées vers le haut qu’à la base.

Le Silène fleur-de-coucou est une plante originaire d’Europe et d’Asie. Introduit en Amérique du Nord, on le retrouve au Canada, de l’Ontario aux provinces maritimes, ainsi que dans le nord-est des États-Unis et dans les états de Washington et du Montana. Observée dans les prairies humides, la plante appartient à la famille des Caryophyllacées, qui regroupe notamment les saponaires, les silènes, les stellaires et les œillets. Elle est d’ailleurs parfois appelée «œillet des prés». Le nom du genre, silène, provient du grec seilenos (= «satyre ventru»), en raison de la forme bombée de son calice, et le nom de l’espèce (flos-cuculi en latin), lui a été attribué parce qu’en Europe, sa floraison coïncide avec les premiers chants du coucou.

Les fleurs du genre Silene tirent leur nom de la forme tubulaire et légèrement bombée de leur calice. – WIKIMEDIA COMMONS

Les cinq pétales roses divisés en fines lanières donnent à la plante une apparence de dentelle effilochée. – PHOTO MICHEL AUBÉ

Comme d’autres plantes de sa famille, le Silène fleur-de-coucou contient de la saponine (du latin saponem = «savon»), un groupe de molécules aux propriétés émulsifiantes et détergentes, qui produisent une mousse semblable à celle du savon quand on les agite dans l’eau. Diverses plantes de cette famille ont traditionnellement été utilisées comme agent nettoyant. La saponine est légèrement toxique, assurant une fonction de défense contre les agressions microbiennes et fongiques. Pour certaines espèces animales, dont les poissons, elle est carrément mortelle. Broyées et jetées dans les mares, des plantes contenant de la saponine ont été utilisées par plusieurs peuplades depuis la préhistoire pour la «pêche au poison».

eLe Silène fleur-de-coucou est mentionné, au quatrième acte de la pièce Hamlet, le chef d’œuvre de Shakespeare, parmi les fleurs tressées retrouvées en guirlande sur le corps noyé d’Ophélie. Amoureuse d’Hamlet, celle-ci sombra dans la folie à la suite de l’assassinat de son père par son prétendant, et se serait laissé choir de la branche d’un saule dans un cours d’eau. Cette fleur symboliserait le dépit éprouvé par la jeune femme en réaction au crime de son amoureux.