«Pattes-au-cul», le petit sous-marin à plumes

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (10 novembre 2021)

À la surface du lac, en bordure des quenouilles, un mouvement discret attire l’attention. L’examen attentif aux jumelles révèle, là où l’onde frémit encore, une tête à peine émergée – tout juste les narines et les yeux – évoquant le comportement vigilant d’un petit alligator. Puis une tête sombre, au bec blanchâtre cerclé de noir, s’élève tel un périscope, scrutant prudemment les environs.

C’est le Grèbe à bec bigarré, un oiseau aquatique à peine plus gros qu’un Geai bleu, de l’ordre des Podicipédiformes (du latin podicis = arrière-train; pedis = patte; forma = forme). Ce nom, dont le début signifie littéralement «pattes-au-cul», décrit l’apparence caractéristique de ces oiseaux. Leurs pattes lobées sont situées très à l’arrière de l’abdomen, ce qui leur assure une forte propulsion en plongée, mais constitue un handicap sur la terre ferme, rarement fréquentée. 

Ce grèbe est observé régulièrement au Lac Boivin, qu’il fréquente d’avril à novembre. À la saison des amours, le mâle entonne un puissant ululement: une dizaine de «couk» répétés, suivis de plusieurs «wouk» en decrescendo. Il se montre alors très territorial en attaquant, sous l’eau, les pattes de ses rivaux, ou celles d’autres oiseaux aquatiques qui s’aventureraient trop près. 

La parade nuptiale commence par une nage au hasard, «comme en flânant», pour signifier la disponibilité. Les partenaires s’avancent ensuite l’un vers l’autre, poitrine hors de l’eau, en effectuant des mouvements saccadés de leur tête dressée et en pivotant sur eux-mêmes. Le rituel se poursuit par une course en plongée sous l’eau où mâle et femelle rivalisent de performance. Les deux partenaires nagent ensuite en cercle, éloignés de quelques mètres l’un de l’autre… puis passent finalement à l’accouplement au travers des herbes flottantes.

Les deux parents se partagent également la couvaison et l’élevage des petits. Ceux-ci peuvent quitter le nid dès une heure après l’éclosion et savent déjà nager. Ils se réfugieront volontiers sur le dos des parents qui les transporteront avec eux, et plongeront même en cas d’alerte avec leur nichée agrippée aux plumes, parfois jusqu’à six mètres de profondeur. Les grèbes vivent beaucoup sous l’eau où ils plongent fréquemment, ou se laissent simplement couler comme de véritables petits sous-marins. Ils se nourissent de petits poissons, de crustacés, d’amphibiens et d’insectes aquatiques, dont ils gaveront également leur progéniture.

De la taille d’un Geai bleu, le Grèbe à bec bigarré a une tête brunâtre et un bec blanchâtre, cerclé de noir. – WIKIMEDIA COMMONS

Les petits sont grisâtres, leur front, leurs joues et leur cou sont bariolés de blanc et de noir, ils ont une tache rose entre le bec et l’oeil, et une autre, orangée, sur la nuque. – WIKIMEDIA COMMONS

Les grèbes peuvent se laisser couler sous l’eau comme de petits sous-marins, et laisser émerger leur tête, tel un périscope, pour scruter les environs. – PHOTO TOM MURRAY