La victoire du petit ourson noir et roux contre le gel

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (1er décembre 2021)

Une petite chose poilue a remué au bord de la piste, à quelques mètres de l’observateur d’oiseau. Les cyclistes roulent indifférents, mais le promeneur étonné s’est accroupi et scrute la végétation, écartée prudemment de ses mains gantées. Ce semblait trop petit pour un mammifère, et la saison est déjà avancée pour les insectes, hors de vue depuis quelques semaines. La température en cette belle journée avoisine les dix degrés, mais les dernières nuits ont déjà été sous zéro.

L’inspection dévoile la bête qui s’empresse avec lenteur entre les brindilles et les feuilles racornies: une chenille longue de quatre centimètres, à trois bandes, roussâtre au centre, et noires aux deux extrémités. C’est la chenille du papillon Isia isabelle. Son nom scientifique, Pyrrharctia isabella (du grec pyrrhos = couleur de flamme, et arctos = ours), décrit bien son apparence familière. Elle est souvent observée dans ses pérégrinations d’automne, parfois jusqu’aux premiers jours de décembre. Contrairement à la plupart des chenilles, elle ne se transforme pas en chrysalide pour l’hiver mais entre en «diapause» (hibernation) sous sa forme larvaire.

La petite «chenille-ourson» devient un papillon de nuit discret au thorax roux, et à l’abdomen ponctué de noir. La couleur «isabelle» de ses ailes évoque celle des chevaux gris orangé. – WIKIMEDIA COMMONS

De tout temps, l’allure familière de petit ourson poilu a été reconnue et appréciée chez cette chenille, comme en atteste sa dénomination scientifique, Pyrrharctia isabella (du grec pyrrhos = couleur de flamme, et arctos = ours). – WIK IMEDIA COMMONS

Elle élimine d’abord beaucoup de son eau. Ensuite, une sécrétion de glycérol entrave et réduit la cristallisation des liquides internes, empêchant les cellules d’éclater sous le gel. Le cœur cesse de battre, les entrailles gèlent en premier, puis le sang, puis le reste du corps. La petite boule de poil devient toute dure sous le tapis de feuilles. Avec le réchauffement d’avril, la chenille reprend vie et prépare sa chrysalide pour l’émergence de l’adulte en mai. Ce sera un papillon de nuit au thorax roux et soyeux, moins familier que la chenille d’automne, bien que fréquemment attiré par les lumières des maisons. Ses ailes seront de couleur «isabelle», ainsi que l’on désigne la robe des chevaux gris orangé, et seront ponctuées de noir. 

De tout temps, l’allure de petit ourson poilu a été reconnue et appréciée chez cette chenille, comme en atteste sa dénomination scientifique. Les anglophones l’appellent d’ailleurs woolly bear (= ours laineux), et parfois woolly worm (= ver laineux). Cet insecte est tellement populaire que la petite ville américaine de Banner Elk en Caroline du Nord (population d’environ 1 000 personnes) en a tiré un festival populaire de course de chenilles au troisième week-end d’octobre. À sa 44e édition annuelle en 2021, plus de 20 000 personnes y ont participé!