Le sexe protégé de la belle tendre

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (23 juin 2021)

Ce ruisseau est un écrin de verdure. Les lentilles d’eau en tapissent délicatement la surface et, dans les espaces restés libres, la brise allume aux vaguelettes des perles de soleil. En son milieu, les nymphéas étalent leur pâleur virginale et sur les rives, callas et sagittaires se disputent le moindre espace. Mais une plante magistrale vole la vedette. Ça et là, des touffes hautes d’un mètre et larges de deux déploient leurs feuilles en têtes de flèche, immenses et lustrées, d’un vert intense, entre menthe et émeraude. Il faut presque trois mains d’adultes pour en couvrir la surface, car ces feuilles peuvent atteindre 50 centimètres en longueur et 15 en largeur.

C’est la Peltandre de Virginie (et non «belle tendre» comme dans le jeu de mots du titre). Elle appartient à la famille des Araceae, qui comprend aussi, sur le territoire du CINLB, le Calla des marais et l’Arisème petit-prêcheur. Au Canada, cette plante ne se retrouve que dans certains milieux humides du sud de l’Ontario et du Québec. Dans notre province, elle est même «susceptible d’être déclarée menacée ou vulnérable». Présente dans la toute moitié Est des États-Unis, elle est généralement considérée en sécurité dans les états de la côte atlantique. En Floride notamment, elle est bien acclimatée et abondante dans les marais des Everglades où elle trouve un habitat idéal. Le nom du genre provient du grec: peltè = écran, bouclier; et andros = homme, masculin. On réfère en fait à l’organe mâle, et aux étamines chez les plantes à fleurs. 

Cette dénomination apparait évidente à la vue de l’inflorescence qui se présente comme un long épi jaunâtre (appelé «spadice») surmontant un léger bourrelet vert, et protégé d’une gangue effilée (appelée «spathe»). Celle-ci s’ouvre comme des lèvres de dentelle sur le spadice, qui apparait couvert de petites fleurs. Cette inflorescence dégage une odeur qui attire des mouches de la famille des Chloripidae. En relation symbiotique avec la plante, ces insectes se nourrissent de son pollen, s’y accouplent et y effectuent leur ponte. Le fruit aura la forme d’une gousse verte contenant plusieurs graines brunâtres qui feront le régal des Canards colverts, des Canards branchus branchus, et des Tortues serpentines. Les mammifères l’évitent cependant, car toutes les parties de la plante contiennent des cristaux d’oxalate de calcium. Comme chez le Calla des marais et l’Arisème petit-prêcheur, ces minuscules aiguilles cristallines peuvent lacérer le système digestif, causer des hémorragies intestinales et provoquer la mort.

      – PHOTOS MICHEL AUBÉ