L’éclat trompeur de la «femme fatale»
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (21 juillet 2020)
L’archétype de la «femme fatale», vieux comme le patriarcat, a souvent été invoqué pour disqualifier les femmes qui réussissent, en attribuant leur succès à l’exploitation de leurs charmes sexuels pour piéger d’«innocentes» victimes masculines. Or voilà que le concept est utilisé dans des revues scientifiques pour qualifier les stratégies reproductives… d’insectes! Et cela, dans des revues prestigieuses comme Science, Nature ou Proceedings of the National Academy of Science. Décidément, les stéréotypes sexistes ont la vie dure!
Le comportement évoqué concerne les ballets lumineux des lucioles qui scintillent en soirée le long de la piste cyclable ou dans les clairières enténébrées du CINLB. Or, derrière l’apparente magie du spectacle, de féroces et maléfiques stratégies de survie sont à l’œuvre. Plusieurs espèces de lucioles présentes en région, notamment dans les genres Photinus et Pyractomena, sécrètent une substance répulsive, la «lucibufagine», qui les rend nocives et les protège de divers prédateurs d’insectes, comme certaines espèces d’oiseaux ou d’araignées.
Par contre, les lucioles du genre Photuris, qui sont parmi les plus fréquentes en Amérique du Nord, ne sécrètent pas elles-mêmes cette substance protectrice. Elle doivent se la procurer en capturant et en dévorant les espèces qui en produisent! Les chercheurs ont pu vérifier que les jeunes individus en sont initialement dépourvus mais que, plus tard en saison, la plupart de ceux qui ont survécus en disposent désormais.
Photuris pennsylvanica est la seule espèce de ce genre présente au Québec, et elle est abondante sur le territoire du CINLB. Pour obtenir sa précieuse denrée de lucibufagine, elle doit leurrer les espèces de Photinus et de Pyractomena qui en produisent. La parade des lucioles opère un peu comme dans les bars ou les sites de rencontres, où les mâles signalent leur présence, et où les femelles répondent en manifestant leur intérêt.
Photuris pennsylvanica ne sécrète pas elle-même la lucibufagine protectrice. Pour l’obtenir, elle doit leurrer les espèces de lucioles qui en produisent… et les dévorer! – PHOTO JEAN BRODEUR
La bioluminescence offre ainsi un double gain aux espèces qui en sont dotées. En plus de présenter une valeur d’avertissement pour les prédateurs d’insectes, elle sert à signifier la disponibilité sexuelle. Les signaux d’échanges lumineux destinés aux partenaires sont produits selon une cadence propre à chaque espèce. Mais au gré de l’évolution, les femelles Photuris ont développé la capacité d’imiter les codes secrets de plusieurs autres espèces. Cette stratégie leur permet d’attirer, à portée de mandibules, les mâles inconscients du risque encouru et séduits par la réponse falsifiée. Et de se gaver de la lucibufagine protectrice avidement recherchée… D’où l’attribution du qualificatif de… «femmes fatales»!