La double digestion du coureur en raquettes
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (2 février 2022)
Le piège-fosse a été installé fin novembre, un dispositif ingénieux pour inventorier les petits invertébrés qui s’activeront en hiver, au ras du sol, sous le couvert de neige. En ce début de février, de gros flocons moelleux virevoltent dans l’air et enguirlandent les branches des pruches. Le chercheur venu relever le piège contemple le silence ouaté qui recouvre le sous-bois. Un cri puissant retentit soudain, à vingt mètres, sur un sentier du CINLB. Un marcheur qui rappelle son fiston aventureux. Quelque chose a bougé en réaction, un mouvement furtif sur le sol enneigé. Le chercheur scrute l’espace aux jumelles. La réponse enjouée du gamin provoque un nouveau sursaut dans les broussailles.
C’est un Lièvre d’Amérique, dont la silhouette immaculée n’est trahie que par le liséré noir des oreilles orientées vers le bruit. Puis l’animal s’enfuit en zigzag, avec une aisance surprenante malgré la neige molle. Les anglophones l’appellent familièrement Snowshoe rabbit, en raison de ses pieds arrière qui mesurent jusqu’à quinze centimètres, pour un corps qui en compte en moyenne quarante-cinq. En outre, la mue qui change le poil gris et roux de l’été en une livrée immaculée pour la saison froide, occasionne la pousse drue de poils raides entre les orteils, donnant aux pieds leur apparence de raquettes. Le changement de couleur débute en septembre et s’étend sur dix semaines, permettant un camouflage efficace à mesure que le sol passe, par taches graduelles, du brun au blanc. La mue printanière rétablira la couleur de la livrée estivale.
Là où était tapi l’animal, de petites billes dures, brun foncé, recouvrent le sol. Ce sont les deuxièmes déjections de la journée, car les premières, verdâtres et molles, ont été expulsées en fin de nuit… et aussitôt réingérées! Ce comportement étrange, appelé «cæcotrophie», est essentiel à ces mammifères, car la première digestion ne suffit pas à extraire tous les nutriments recherchés. Leur absorption se fait par l’intestin grêle, mais reste incomplète en raison de la cellulose contenue dans les végétaux. Les enzymes requises pour décomposer ces molécules se trouvent plus loin, dans le «cæcum», la première partie du gros intestin. Le résultat de la première digestion doit donc être mangé et repassé dans l’intestin grêle pour compléter l’absorption des nutriments. Au plan métabolique, cette double ingestion est semblable à la digestion des ruminants.
Les anglophones l’appellent familièrement Snowshoe rabbit, en raison de ses pieds arrière qui mesurent jusqu’à quinze centimètres, pour un corps qui en fait quarante-cinq. – WIKIMEDIA COMMONS
La mue du Lièvre d’Amérique change le poil gris et roux de l’été en une livrée immaculée pour la saison froide. – WIKIMEDIA COMMONS