De la pose du culturiste… à la position du missionnaire
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (7 novembre 2018)
Vous soulevez une pierre plate dans un ruisseau, et lorsque l’eau trouble s’éclaircit, une bestiole brunâtre, dérangée par l’intrusion, se déplace lentement vers l’avant. Vous tentez de la saisir, mais vive comme l’éclair, elle vous file entre les doigts… à reculons! C’est l’Écrevisse de ruisseau, un crustacé à l’allure d’un homard miniature, qui abonde dans les petits tributaires du Lac Boivin.
Elle est la plus répandue des huit espèces trouvées au Québec, occupant une aire de distribution allant du nord de la Floride au Lac St-Jean, et du Mississipi à l’Atlantique. D’apparence trapue, elle a une taille de deux à quatre centimètres et des pinces massives, tels de gros bras qui lui donnent une allure de culturiste. C’est la première espèce d’écrevisse à avoir été décrite en Amérique du Nord, dès 1798, par l’entomologiste danois Johan Christian Fabricius.
Cette espèce appartient à l’ordre des Decapoda, les crustacés à dix pattes qui regroupent aussi les homards, les crabes, les crevettes et les langoustes. Ses deux pattes avant se sont spécialisées en pinces puissantes, aux fonctions tant prédatrices que défensives. Les quatre autres paires servent à la locomotion. L’écrevisse peut aussi se déplacer très rapidement à reculons, par un vigoureux mouvement de l’abdomen. Au fur et à mesure de sa croissance, et plusieurs fois par année, l’animal doit muer et quitter sa carapace devenue trop étroite. Celle-ci se fendille à la jonction de l’abdomen et du céphalothorax, et l’écrevisse en sort en se tortillant. La nouvelle cuticule formée sous l’ancienne se gonfle d’eau et durcit en 24 heures.
L’Écrevisse de ruisseau, un crustacé à l’allure de homard miniature, abonde dans les petits tributaires du Lac Boivin. À coups de queue, elle peut s’enfuir vivement à reculons. – WIKIMEDIA COMMONS
Le mâle adopte deux formes différentes, reproductrice ou végétative, et le passage de l’une à l’autre se fait lors des mues. Dans sa forme reproductrice, le mâle est doté d’appendices copulateurs situés sous l’abdomen, qui ont l’apparence de minuscules clés anglaises. Dès que les messages chimiques des phéromones ont assuré leur rencontre, le mâle retourne la femelle sur le dos, pour un accouplement ventre contre ventre, dans la position dite «du missionnaire». Il presse ensuite ses appendices copulateurs (gonopodes) contre le réceptacle séminal de la femelle (gonopore). La copulation peut durer des heures.