Alerte au cercle rouge!
Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité (14 avril 2020)
Le cycliste roule dans l’obscurité, éclairant la piste de sa lampe frontale. Une pluie fine crépite sur son imper que la brise soulève par moments, projetant sur la forêt voisine une ombre fantasmagorique. Soudain le promeneur s’immobilise, ayant perçu un mouvement discret à une dizaine de mètres: une petite chose luisante, longue d’à peine cinq centimètres. Sous la lueur projetée, une salamandre minuscule, rouge fluo, poursuit sa lente traversée de la piste. C’est un Elfe rouge, le juvénile vagabond du Triton vert. L’observation est soigneusement enregistrée. Depuis plusieurs années, dès la mi-avril, quelques bénévoles participent ainsi à l’inventaire des Amphibiens sur le territoire du CINLB.
Le Triton vert est l’une des trois espèces du genre Notophtalmus (du latin noton = marque, et du grec ophtalmos = œil) qui ne se trouvent que sur le continent américain, entre le sud-est canadien et le nord-est du Mexique. Le nom du genre réfère aux taches en formes d’yeux qui parsèment leur dos. Chez l’espèce viridescens (= verdâtre), la seule présente au Québec, l’adulte a un dos vert olive picoté de points rouge vif, cerclés de noir, et un ventre jaunâtre, moucheté de noir. Il a une vie aquatique, respire par des branchies et nage aisément, l’ondulation de sa queue aplatie lui assurant une propulsion efficace.
Au cours de son développement, l’espèce traverse quatre phases : œufs (3-8 semaines), larves (2-5 mois), juvéniles (2-3 ans) et adultes (12-15 ans). Les larves et les adultes sont verdâtres, dotés de branchies et ont une vie aquatique. Lorsque les larves quittent leur phase de têtard, leurs branchies s’atrophient et elles développent des poumons. Les juvéniles adoptent alors une vie terrestre et prennent une coloration d’un rouge fluorescent, qui prévient les prédateurs de leur extrême toxicité. Les chercheurs ont en effet pu vérifier que l’ingestion d’une quantité aussi faible que 0,005 centimètres cubes prélevés sur la peau du dos pouvait entrainer la mort d’une souris en moins de dix minutes.
Au moment du retour des juvéniles à la vie aquatique, leurs poumons s’atrophient et des branchies se développent à nouveau pour leur permettre de vivre presque exclusivement sous l’eau. Malgré leurs couleurs différentes, les tritons, juvéniles comme adultes, gardent sur leur dos les mêmes petits points rouges cerclés de noir. Ceux-ci ont fonction de signal car, en dépit de leur livrée redevenue verdâtre, les adultes sont également d’une toxicité mortelle, bien que dix fois moins sévère.
Le triton adulte a un dos vert olive picoté de points rouges, cerclés de noir. Son ventre est jaunâtre, moucheté de noir. Il a une vie aquatique, respire par des branchies et nage aisément, grâce à sa queue aplatie qui lui assure une propulsion efficace. – WIKIMEDIA COMMON
Au cours de sa vie terrestre, l’Elfe rouge, la forme juvénile du Triton vert, prend une coloration d’un rouge fluorescent, qui prévient les prédateurs de son extrême toxicité. – WIKIMEDIA COMMONS