Un petit mammifère au venin de reptile

Par Michel Aubé, passionné de Biodiversité

Les animaux venimeux se retrouvent surtout chez les Amphibiens et les Reptiles, notamment chez certains lézards et chez plusieurs serpents. Chez les Mammifères par contre, le phénomène est extrêmement rare, et on ne connaît qu’un seul exemple en Amérique du Nord. Il s’agit de la Grande Musaraigne, un petit Insectivore fort commun au CINLB.

Longue de 7 à 10 cm, celle-ci a un pelage gris anthracite, dense et soyeux, et une queue de 2-3 cm, plus courte que celle de la plupart des souris et autres petits rongeurs de taille comparable. Ses petits yeux ne lui offrent qu’une vision réduite, ne distinguant tout au plus que les contrastes d’ombre et de clarté. Cette espèce est par ailleurs capable d’écholocation, ce qui lui permet de trouver aisément son chemin et d’identifier ses proies. C’est en fait l’un des rares mammifères terrestres dotés de cette capacité.

Hyperactive, la Grande Musaraigne a un métabolisme près de 200% supérieur aux autres mammifères de même volume vivant sous la même latitude. Ce métabolisme requiert une alimentation soutenue, si bien qu’elle consomme de un à trois fois son poids quotidiennement. Surtout insectivore, elle optimise son activité de chasse en utilisant son venin pour paralyser les proies qu’elle rencontre, sans nécessairement les dévorer sur le champ.

En dose importante, ce neurotoxique est suffisamment puissant pour tuer une souris ou même un chaton ou un lapereau. Les proies ne reçoivent généralement qu’une légère morsure qui les garde vivantes plusieurs jours. 

La Grande Musaraigne a un pelage gris anthracite, dense et soyeux, un nez pointu, de petits yeux et une queue plus courte que chez les autres espèces de musaraignes. – PHOTO MICHEL AUBÉ

Cette stratégie assure une provision fraiche à la Grande Musaraigne qui réserve ainsi près de 90% de ses captures, et n’en dévore qu’environ 10% sur place.

Au moins deux toxines ont été identifiées dans la salive de cet Insectivore, la Soricidine et la BLTX. L’étude de la première a permis de découvrir au début des années 2000 des propriétés intéressantes pour l’éradication des cellules cancéreuses, notamment dans les cancers hormono-dépendants. La compagnie Soricimed Biopharma se spécialise dans la production et l’étude de médicaments tirés de cette toxine. L’un de ceux-ci suscite beaucoup d’espoir et s’est vu octroyé le statut de «médicament orphelin» par la FDA américaine en mars 2016.